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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/35

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LE JOURNAL DE m"® DE SOMMERS. 29 Malgré tout j’ai fait un mouvement : miss Grey ne m’a pas laissé le temps de parler et a ajouté ; — Encore une fois un caractère comme le vôtre est au-dessus d’aussi misérables sentimens, cela ne saurait faire question. Voilà ma première démonstration. Vous semble-t-elle suffisamment claire? Ceci pour le gros du monde. — Tout à fait. — Nous allons donc passer à la seconde. Forcément M. de Los- tange doit avoir, et c’est ce qui vous occupe particulièrement, une manière d’être avec les personnes avec lesquelles il a des relations obligatoires quotidiennes. C’est de cette attitude que vous avez voulu parler. Je dois donc vous demander si cette attitude est la même avec tout le monde. J’ai rougi et suis restée un instant sans répondre. Miss Grey a continué, sans paraître le remarquer et sans ap- puyer : — C’est ici, laissez-moi vous le dire, que vous commettez votre seconde erreur, plus grosse encore que la première, en confon- dant l’amour-propre avec la dignité qui est un tout autre senti- ment. Il y a des hommes qui ont pour principe que chacun et chaque chose doit être et rester à sa place. Ce principe est celui d’une foule d’hommes dans mon pays, et c’est aussi celui de M. de Lostange. Appliqué au général, il vaut à un pays la tranquillité et de bonnes mœurs politiques ; au particulier, il bannit l’envie, la jalousie, et ce qui en découle, et autorise chez tout être humain le respect de soi-même, car il est la base d’une sorte de droit des gens en morale. Elle s’était arrêtée. — Mais, miss Grey, quel rapport cela a-t il à ce qui nous oc- cupe? De nouveau elle a ri. — Beaucoup plus de rapport que vous ne croyez. — Soit, mais la démonstration ? — La voici, et, si vous le voulez bien, procédons ici par comparai- son. Comparons l’attitude ou plutôt les attitudes de M. de Los- tange avec les diverses personnes dont il s’agit. Partout elles me semblent correctes. Il est bien clair qu’il ne peut être avec son frère ce qu’il est avec sa sœur, qu’il ne peut être avec madame votre mère ce qu’il est avec vous, ou avec moi, si vous voulez. — Soit, mais ne peut-il être avec vous ce qu’il est avec moi ? Je faisais comme miss Grey, et renversais les termes de la com- paraison avec intention. — Mais mademoiselle de Sommers, avant tout, il y a de sa part une