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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/363

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pessimisme est une doctrine de résignation ou de protestation, selon les cas ; mais toujours il signifie, — et de là vient sa valeur morale, — que la raison et la conscience souffrent de ce qui est. Les habitudes séculaires de penser et de sentir, les tendances profondes de l’Allemagne à l’idéalisme ne pouvaient s’accommoder du régime nouveau sans de douloureux froissemens. Il n’est donc pas surprenant que le progrès du pessimisme, dans la philosophie et dans la littérature, ait coïncidé avec le moment où l’Allemagne victorieuse était en proie à une sorte de fièvre industrielle, compliquée d’une folie de spéculation. La transformation était trop brusque, les secousses successives trop rudes ; le pessimisme témoigna, pour un temps, du trouble des âmes désorientées.

Le roman archéologique profita de cette disposition générale des esprits. Ebers en avait donné le modèle dès 1864, avec sa Fille d’un roi d’Egypte ; mais la vogue vint surtout vers 1880 avec l’Antinoüs de Taylor, avec les romans romains d’Eckstein et de Günther Walloth, et avec le roman barbare de Félix Dahn, la Lutte pour Rome. La réalité présente inspirant un sentiment de malaise, on se plut à dépayser l’imagination, et à évoquer tantôt l’Egypte des Pharaons, tantôt l’empire romain du temps d’Hadrien, tantôt les armées des Germains et des Goths. Mais un décor nouveau ne fait pas supporter longtemps un drame ennuyeux. Encore, lorsqu’il s’agit pour l’auteur, — comme dans Salammbô, par exemple, — de faire défiler sous nos yeux des tableaux admirables de lumière et de couleur, il importe moins que la fable du roman soit d’un faible intérêt : quoi qu’on puisse penser du genre, l’œuvre conserve toujours une valeur artistique. Mais, ce cas excepté, — et il est fort rare, — le roman archéologique dure ce que dure la mode qui l’a fait naître. Il ne peut plus espérer la longévité du Voyage du jeune Anacharsis, dont la fortune a été unique, et qui parait à la fois vénérable et comique aux jeunes gens à qui on le donne encore en prix dans les collèges. Presque infailliblement, le roman égyptien, romain ou barbare tourne à la rédaction d’histoire, comme le roman scientifique au cours de physique ou de géographie. Cette sorte d’ouvrage peut bien piquer pour un temps la curiosité du lecteur, étonné d’apprendre sans effort, ou amusé par une couleur locale inattendue : mais sa curiosité est capricieuse, et lorsqu’elle s’éloigne vers d’autres objets, rien ne reste de ce qui l’avait captivée un instant. Les romans de « mosaïque archéologique » sont aujourd’hui tout à fait abandonnés, et M. Mielke n’a pas tort de dire que « rarement le roman allemand est tombé aussi bas qu’avec Ebers. »

La critique, en Allemagne, ne se dissimule pas les faiblesses du roman contemporain, et il est facile d’en surprendre chez elle