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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/403

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délibération de la municipalité, en date du 18 juin 1790, a définitivement reconnu l’existence de la société populaire[1], celle-ci tient régulièrement ses assises et se réunit chaque jour. A l’heure dite, ses membres arrivent, avec la ponctualité d’hommes qui savent qu’une grave mission leur incombe. Un emblème qu’ils portent à la boutonnière, un œil peint sur un ruban tricolore[2], rappelle d’une manière symbolique la nature et l’objet de cette mission, qui est avant tout de surveillance. Et, en effet, ils se considèrent, avec une conviction profonde, comme les sentinelles avancées, les gardiens en titre de la Révolution. Ne leur demandez pas qui leur a confié ce mandat, de quel droit ils prétendent l’exercer avec cette frénésie de zèle inquisiteur qui va leur faire découvrir partout des machinations et des traîtres. N’insinuez pas, surtout, que la validité d’un mandat qu’on se décerne ainsi à soi-même est suspecte, qu’elle fournit à tout le moins matière à contestation. Leur opinion sur ce point est faite, elle est inébranlable : c’est la volonté du peuple qui les a investis de ces fonctions. Ne cherchez pas à savoir quand, comment, cette volonté s’est exprimée en leur faveur. N’objectez pas que cette volonté souveraine qu’ils invoquent, à laquelle ils affirment que tout doit céder, c’est la leur, en réalité, qu’ils se sont eux-mêmes désignés, et que c’est une intolérable prétention de donner le caprice d’un individu pour le vœu de la nation. Inclinez-vous devant ce sophisme triomphant, devant ce nouveau Dieu le veut ! qui répond à tout, qui autorise tout, — et laissez passer ce mandataire du peuple qui, le bonnet rouge sur la tête, la pipe aux dents, des savates aux pieds, va travailler au bien de la chose publique !

Le local adopté par la société pour ses séances est l’église Saint-Jean. Toute décoration religieuse a disparu. Des attributs, des devises révolutionnaires s’étalent sur les murs. Une tribune a remplacé la chaire. Deux ornemens étranges la surmontent. Le premier est un drapeau polonais : le club a voulu rendre hommage à une nation qui combat pour son indépendance. Ce drapeau resta là jusqu’au 23 octobre 1792. Il fut alors retiré : le club ne voulait plus avoir sous ses yeux l’étendard d’un peuple « tombé sous l’esclavage des tyrans[3]. » Se moque qui voudra de ces enfantillages : ils montrent à quel diapason les âmes étaient montées et ne prêtent pas à rire. Car, parmi ces hommes qui faisaient un crime aux Polonais de n’avoir pas préféré la mort à la servitude, plus d’un, ne

  1. Henry, I, p. 129.
  2. Ibid., II, p. 15.
  3. Ibid., I, p. 275-276.