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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/415

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de Saint-Jean, dit Lauvergne, domina tous les pouvoirs du lieu sans exception. Ses velléités de désordre s’annonçaient par une émeute dont le bruit suffisait à l’effroi qu’il voulait propager ; lorsqu’il voulait frapper de plus rudes coups, le lion sortait de l’antre en rugissant, il parcourait la ville en semant dans les familles paisibles l’épouvante et la désolation[1]. » La « promenade » achevée, la bête regagnait sa tanière ; et, dans la ville muette, consternée, pas une voix ne s’élevait pour proposer à ces milliers d’hommes inoffensifs, parmi lesquels elle venait de prélever encore son sanglant tribut, de s’unir enfin contre elle et de l’abattre. Cela dura trois ans : de juin 1790 à juillet 1793. Pendant trois longues années, une bande de scélérats audacieux, composée par portions à peu près égales d’énergumènes et de malandrins, put terroriser à merci près de trente mille citoyens honnêtes, ayant pour eux, outre leur innocence, le droit, la loi, la force même, — puisqu’ils avaient le nombre, — mais manquant de la résolution nécessaire pour défendre, contre la plus odieuse des oppressions, leur liberté, leurs biens et leur vie. Devant un pareil spectacle, l’historien confondu s’arrête, ne sait plus que penser ni que dire, et se demande ce qui lui doit inspirer le plus d’horreur et de dégoût, de la férocité des bourreaux ou de la lâcheté des victimes…


L’ESPRIT PUBLIC ET L’EMIGRATION.
I.

Cette activité désordonnée, dont la correspondance du club de Toulon nous fournit les indices, n’est point particulière aux quelques centaines d’individus remuans et bruyans qui composent cette société populaire : elle est la marque même de l’époque, son signe propre et distinctif. Jamais l’âme humaine n’a été plus troublée, plus vibrante qu’en ce temps-là. On peut douter qu’à l’époque même des grands conflits religieux du XVIe siècle, qui l’ont si violemment émue, tant et de si puissantes passions se soient déchaînées sur elle, l’aient ainsi agitée en tous sens, labourée jusque dans ses profondeurs, fouettée de souffles si impétueux. Depuis que cette grande et terrible Révolution est commencée, la France a perdu le repos. Elle a les yeux ardemment fixés sur Paris, et la

  1. Lauvergne, p. 106.