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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/418

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prose, en vers, nous la traduirons en latin et en toutes les langues connues, enfin nous la prônerons aux quatre coins de la terre, où la destinée pourra nous conduire… Vos très humbles et très obéissans serviteurs et jeunes citoyens, les écoliers de la troisième du collège de Toulon[1]. » De quoi, si ce n’est de politique, voulez-vous que s’occupent plus tard ces « jeunes citoyens de la classe de troisième, » dévoués à la constitution au point de la vouloir chanter en vers latins, et qui connaissent déjà le catéchisme de Jean-Jacques ?

Aussi bien qu’à l’école, la politique a pénétré à la caserne. De la bouche des soldats, comme de celle des collégiens, sortent des paroles naïvement déclamatoires qui sembleront d’une haute signification, pour peu qu’on prenne la peine de chercher et de découvrir, sous l’enflure des mots, la profondeur et, pour tout dire, la noblesse du sentiment qu’ils expriment. « Dites si, depuis que nous sommes dans vos murs, nous nous sommes montrés les esclaves du despotisme, si nous nous sommes comportés comme les soldats du roi ou comme ceux de la nation, si nous avons voué obéissance à l’homme ou à la loi ? L’honneur du soldat français dépend désormais du discernement de ces principes… » Ainsi parlent, en cette même année 1790, dans une adresse expédiée à la municipalité, au nom de leurs compagnies respectives, les sergens majors du régiment de Dauphiné[2]. De ces sous-officiers, sans doute, la discipline, l’esprit de subordination est suspect. Mais leur dévoûment à la nation, — ce qui somme toute vaut mieux encore, — parait sincère. Ils discuteront peut-être les ordres de leurs chefs ; mais, quand la patrie leur commandera de mourir, ils obéiront.

Au bagne même, chose à peine croyable, l’esprit nouveau s’est glissé, et une ardente sollicitude, pour les intérêts généraux de la nation, se manifeste au milieu de gens qu’on ne s’attendait guère à voir livrés à des préoccupations de cette sorte. Les forçats, ces mêmes forçats amis et protégés du club, dont le « cœur était rempli d’allégresse par la cimentation de la liberté de la nation, » écrivent, en avril 1790, au maire Richard, une lettre plus surprenante encore. Ils ont lu « le n° 96 du Courrier d’Avignon » et ils y ont vu que cette gazette les accuse de tramer une révolte. Ils se défendent contre cette accusation en termes chaleureux et comiques. « L’alarme est dans leur cœur. » Ils sont « pénétrés du désir le

  1. Archives de Toulon. — Lettre à la municipalité, du 28 mai 1790.
  2. Archives de Toulon. — Dossier intitulé : Sentimens patriotiques des militaires de la garnison.