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histoire d’un cabinet minéralogique.

dressèrent un inventaire des plus complets. Ils étaient partis sans avoir touché aucuns fonds pour leurs frais de voyage et leur déplacement. Tout le temps que dura leur séjour, Bernardin de Saint-Pierre réclama de quoi subvenir à ses besoins les plus usuels et à ceux de ses compagnons ; mais ses demandes restèrent vaines et, le travail terminé, il rentra à Paris sans avoir rien acquitté de ses dépenses, mais non sans rapporter les pièces justificatives de ses débours et même le menu de chacun de ses repas qu’un psychologue amoureux d’analyses et de recherches physiologiques peut encore étudier dans les papiers du comité de l’instruction publique de la Convention[1].

Rentré à Paris, Bernardin de Saint-Pierre, conformément au décret de la Convention qui ordonnait le transport du cabinet de Chantilly, fit le compte de ce que coûteraient l’emballage, le voyage et l’installation, et l’évalua à la somme de 86,000 livres.

C’était non-seulement une grosse somme pour l’époque, mais la pénurie d’argent était telle, puisque les commissaires n’avaient même pas reçu leurs frais de déplacement, que Bernardin de Saint-Pierre crut qu’il ne l’aurait jamais à sa disposition.

Il avait la direction du Jardin des Plantes depuis la veille du 10 août, date de sa nomination, la dernière qu’eût faite Louis XVI. En l’investissant de sa charge, le roi lui avait adressé quelques mots : « J’ai lu vos ouvrages, ils sont d’un honnête homme, et j’ai cru nommer en vous un digne successeur de Buffon. » Or Bernardin de Saint-Pierre, littérateur inimitable dans ses peintures de la nature, était loin d’être un savant au sens exact du mot[2], et encore plus éloigné d’être un administrateur. Si sa direction se fût prolongée, les choses seraient sans doute restées en l’état, et jamais les objets de Chantilly n’auraient même été emballés. Aussi, sentant par suite de l’impossibilité où il était de réussir, combien sa situation était fausse, il céda la place, et Daubenton fut élu directeur à l’unanimité par l’assemblée des professeurs du Muséum.

Aussitôt en fonction, ce savant, quoique fort vieux et surtout très usé physiquement, prend en main les affaires du Muséum et tire des événemens un excellent parti ; il s’occupe tout de suite de réduire les frais de transport et d’installation des objets qu’il avait à recevoir : d’abord il demande à l’administration des

  1. Archives nationales, F17 1131.
  2. Comme il se plaignait un jour à Bonaparte du silence des savans à l’égard des études qu’il avait consacrées à la théorie des marées, qu’il attribuait à la fonte des glaces polaires, le premier consul lui répondit : — « Savez-vous le calcul différentiel ? — Non. — Eh bien ! allez l’apprendre, vous vous répondrez à vous-même. »