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ministère comme l’ancien a cru pouvoir jouer le même jeu, essayer de satisfaire radicaux et modérés. La vérité est qu’il n’a peut-être satisfait ni les uns ni les autres, et que, si la discussion qui s’est engagée a fini par un vote favorable au gouvernement, la question est restée ce qu’elle était il y a un mois ; elle n’est pas plus avancée sous le nouveau ministère. Elle n’est qu’ajournée, probablement à une courte échéance : d’ici à peu on se retrouvera !

Ce qu’il y a d’assez curieux à observer, c’est la tactique suivie depuis quelque temps par les radicaux dans leur campagne contre le concordat, contre tout ce qui peut contribuer à la pacification religieuse et morale du pays. Il y a dans la chambre, il y a même au sénat d’habiles stratégistes qui, se sentant impuissans à enlever d’assaut cette séparation de l’Église et de l’État qui est leur rêve, s’efforcent de tourner la difficulté. Ils ont de curieuses roueries de polémiques, pour déguiser la violence d’esprits étroits qui font de la politique une œuvre de secte et de fanatisme. Ils ont découvert que la république ne serait la république que si elle était la guerre aux idées religieuses, que l’État laïque ne pouvait, sans s’humilier et abdiquer, traiter avec l’Église : ils ont failli réussir à glisser par subterfuge, dans un ordre du jour, cette sottise « qu’on ne devait permettre à aucun pouvoir étranger, — c’est-à-dire au pape, — d’intervenir dans notre politique intérieure. »

Qu’est-ce que cela peut signifier ? Est-ce que le pape est un souverain étranger dans les pays catholiques ? C’est le chef d’un grand culte encore reconnu par l’État, mêlé à notre vie nationale, le directeur des croyances de millions de Français. Ce roi sans royaume, sans territoire, sans armée, est de plus un grand pouvoir moral s’étendant à tout le monde civilisé, invoqué comme arbitre par de plus puissans que lui, et les radicaux, en le traitant en étranger, en ennemi, se montrent aussi peu éclairés pour notre politique extérieure que pour notre politique intérieure. Le pape ne fût-il que ce pouvoir moral placé entre les nations, il y aurait un intérêt évident à le ménager, à rester en amicale intelligence, en rapports constans avec lui. A plus forte raison cette entente est-elle légitime et utile lorsqu’il y a entre la France et la cour pontificale un traité qui, depuis près d’un siècle, a garanti la paix religieuse dans notre pays. — On veut interdire à notre gouvernement de négocier avec le pape ! mais alors pourquoi maintient-on auprès du Vatican un ambassadeur dont la présence est l’attestation vivante des intérêts communs que les deux puissances ont sans cesse à régler ? Des négociations, il y en a toujours : elles sont le résultat du concordat ; elles ont pour objet et le choix des évêques, et les rapports de toute sorte de l’État avec l’Église, et les mille questions qui s’élèvent à tout instant. Le dernier président du conseil, M. de Freycinet, le disait il y a un mois : « Tant que l’Église catholique sera unie à l’État par les liens que vous connaissez, nous serons amenés naturellement à