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Fils de marin, marin lui-même dès son premier âge, Jurien de La Gravière avait passé sa jeunesse, ses plus belles années à la mer, passionnément dévoué à son état, menant avec une intelligente et courageuse activité cette vie semée de campagnes lointaines, apprenant sous les plus illustres maîtres, les Lalande, les Hugon, les Bruat, à commander à son tour. Il était partout, dans les mers de Chine, dans le Levant, en Grèce, dans le golfe du Mexique, dans la Méditerranée, tantôt simple officier, tantôt plus tard commandant d’un navire ou d’une escadre. Déjà capitaine de vaisseau et chef d’état-major sous l’amiral Bruat dans la Mer-Noire, pendant la guerre de Crimée, il avait sa part d’action et de périls dans cette rude campagne d’hiver où la flotte était la généreuse complice de notre armée de terre. Il avait, avec son héroïque chef, ses journées devant Sébastopol, à Kertch, à Kinburn. Lorsque, déjà amiral à son tour, il était appelé à diriger dans ses débuts l’expédition du Mexique, il n’avait pas tardé à démêler le danger ; il l’avait signalé, et par une trêve prudemment négociée, il avait ménagé à son gouvernement le temps de la réflexion ; il n’avait pas été écouté, il était même désavoué, rappelé, et en cessant d’être le chef d’une expédition promise à une fin sinistre, il mettait sa fierté à rester du moins sur son escadre, partageant les épreuves de ses équipages décimés par un fléau meurtrier. En 1870, retenu malgré lui par un service de confiance, mais ingrat, d’aide-de-camp auprès de la souveraine, il ne quittait les Tuileries, d’où l’empire venait de disparaître, que pour aller reprendre, en soldat fidèle et dévoué à la France, le commandement de la flotte de la Méditerranée. Il servait encore le pays en lui gardant une escadre intacte et en déconcertant, par sa vigilance, les agitateurs ennemis sur la côte des Alpes-Maritimes. Maintenu en activité après l’âge par le privilège de ses commandemens en chef, l’amiral était resté toujours un conseiller écouté, un guide pour les jeunes officiers qui grandissaient déjà, et bien qu’attaché par ses souvenirs à l’ancienne marine, il ne cessait de s’intéresser à la transformation de notre état naval, à la création de la marine nouvelle. Il s’y est intéressé jusqu’au bout. C’était un de ces marins à la fine et forte trempe, à l’esprit toujours ouvert, au cœur généreux, modèles de droiture et de simplicité. Qui, certes, c’était un marin éprouvé, il a aussi cette originalité d’avoir été un lettré, d’avoir commencé dès sa jeunesse à être l’historien de la marine, et c’est par là qu’il était depuis si longtemps l’hôte toujours bienvenu de cette maison, un collaborateur et un ami pour nous tous.

Voilà près d’un demi-siècle que l’amiral Jurien de la Gravière, entre deux campagnes maritimes, commençait ici même cette autre campagne littéraire. Il la commençait par ces instructifs et aimables récits de ses courses, de ses voyages, de son expédition de la Bayonnaise ; il n’a cessé depuis de la poursuivre, étudiant tour à tour la marine