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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/481

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partis victorieux, il n’y a cependant aucune apparence de divisions prochaines entre des hommes qui viennent de vaincre ensemble, qui ont résumé leur politique intérieure dans un manifeste récent au pays sous ce titre : « Appel aux électeurs ! » C’est un assez vaste programme de réformes économiques et administratives. On commence toujours par là, c’est le meilleur moyen de s’entendre. Quant à la politique extérieure du nouveau ministère roumain, qui sort victorieux des élections, elle ne peut se résumer que dans un mot : la neutralité ! Quelles que soient les préférences ou les sympathies des hommes et du souverain lui-même, il ne peut y avoir d’autre politique à Bucharest parce que c’est l’intérêt du pays : c’est la nécessité des choses, c’est la logique de la situation géographique et diplomatique du petit royaume danubien, c’est la raison d’être et le rôle de la Roumanie en Orient.

L’Orient, même depuis qu’il y a des constitutions et des parlemens, est toujours le pays des surprises, des coups de théâtre, des révolutions soudaines de pouvoir, et la crise ministérielle qui vient d’éclater en Grèce n’est point certes l’épisode le moins curieux de cette curieuse histoire. Cette crise hellénique, en effet, elle a cela d’étrange qu’elle est survenue à l’improviste, qu’on ne sait pas encore d’où elle vient ni où elle peut conduire, quelles raisons secrètes ont déterminé le roi George à frapper d’une révocation sommaire un ministère entouré d’une majorité puissante dans le parlement. Comment tout cela s’est-il passé ? De quelles circonstances nouvelles ou mystérieuses est né cet étonnant imbroglio ? Entre les deux principaux partis qui divisent la Grèce, qui ont pour chefs M. Tricoupis et M. Delyannis, se succédant tour à tour dans l’opposition et au gouvernement, la lutte est toujours ouverte. Il y a deux ans à peine c’était M. Tricoupis qui avait le pouvoir et il avait eu à l’exercer dans des momens difficiles, au lendemain d’une crise où la Grèce avait eu à subir les dures injonctions de l’Europe. C’est aujourd’hui, ou plutôt c’était hier encore, M. Delyannis qui avait la présidence du conseil. Il avait été porté aux affaires il y a dix-huit mois par des élections qui étaient un vrai déchaînement d’opinion, un mouvement violent de réaction contre M. Tricoupis. M. Delyannis avait, dans le nouveau parlement, une majorité passionnée et dévouée ; il a gouverné avec elle depuis près de deux ans.

Ce n’est pas que, même avec l’appui assuré de son parlement, le président du conseil d’hier n’eût encore bien des difficultés, et des difficultés de plus d’une sorte, à vaincre. Il avait d’abord à contenir cette majorité aveugle dans ses passions, acharnée à poursuivre M. Tricoupis jusque dans sa retraite, à le menacer d’une mise en accusation. Depuis un an, une commission d’enquête parlementaire est occupée à chercher des griefs, à rassembler les élémens d’accusation contre l’ancien président du conseil. M. Delyannis voulait bien profiter de l’hostilité toujours vive contre M. Tricoupis et s’armer dans une discussion