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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/537

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Le major Stille était aussi un savant. Il étudiait à l’université de Helmstadt, quand il entra au service du roi de Prusse dans la guerre contre Charles XII. La guerre finie, il prit un congé pour achever ses études à l’université de Halle. C’était un homme tranquille, sérieux et pieux à la façon allemande, mais point dépaysé dans ce milieu, puisqu’il était homme de plume, en même temps que d’épée, et qu’il parlait et écrivait en plusieurs langues.

Il fallait bien que la France fût représentée dans cet état-major de Frédéric. Le baron de La Motte-Fouqué était né à La Haye en 1698 ; il avait appris la guerre à une rude école, comme page du prince d’Anhalt, qui, lui trouvant un nom de consonance trop française, lui avait enjoint de signer Fouquet. Frédéric l’avait connu à Cüstrin, et l’avait retrouvé sur le Rhin, dans la campagne de 1734. Fouquet, ou, n’en déplaise au vieux Dessau, Fouqué avait, outre sa grande valeur d’officier, des talens de société ; il jouait la tragédie, pas bien, d’ailleurs, et même il eut à Rheinsberg un bruyant insuccès dans le rôle de Mithridate, mais Frédéric lui savait gré de sa bonne volonté. Il regretta le baron lorsque celui-ci, brouillé avec Dessau, dut aller prendre du service en Danemark. Heureusement, Frédéric avait alors auprès de lui un autre Français, le comte de Chasot.

Chasot était né à Caen, en 1716, d’une très vieille famille bourguignonne, transportée en Normandie depuis un siècle environ. Après avoir étudié chez les jésuites de Rouen, au collège de Joyeuse, il était entré au corps des cadets gentilshommes, à Metz. En 1734, il faisait la campagne du Rhin, comme lieutenant dans le régiment de Bourbonnais. A l’armée se trouvaient de jeunes courtisans, promus officiers pour la guerre, incapables de commander et d’exercer leurs soldats, et à qui l’on avait conseillé de s’instruire auprès de leurs camarades sortis du corps des cadets ; mais ces jeunes seigneurs croyaient que la naissance, la bravoure et les beaux habits conféraient toute la science militaire. Il n’y avait pas de jour où leur impertinence ne causât quelque mauvaise affaire. Le malheur voulut que celui de ces Parisiens avec qui Chasot eut à en découdre fût un parent du duc de Boufflers, courtisan de grande marque et pair de France, et à qui appartenait précisément le régiment de Bourbonnais. Après qu’il eut laissé son homme sur le terrain, Chasot fut pris de peur : un duel devant l’ennemi était un acte grave d’indiscipline, quand la victime était de la cour et bien apparentée ; le jeune homme courut tout droit à l’asile le plus proche, qui était le camp ennemi. Ni lui, ni personne ne pensa qu’il commît une trahison ; les officiers de son régiment l’avaient muni d’une déclaration attestant la parfaite honorabilité de la raison qui le forçait à s’exiler. L’état-major