Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pas si vous savez vous y prendre.

Et Maisie agite la main pour expliquer sa méthode. Il y a une tache de couleur sur sa manchette.

— Aussi peu soignée que jamais, remarque Dick en riant.

— Le reproche te va bien. Regarde ta propre manche !

— Ma foi, oui ! Elle est pire que la tienne. Nous n’avons pas changé. Cependant…

Et d’un œil critique, il regarde Maisie se détachant sur les arbres du Parc avec sa robe grise, sa toque de velours posée sur des cheveux noirs, son profil résolu… La bouche un peu fléchissante au coin. — Qu’est-ce qui nous a fait du chagrin, Maisie ?

— Personne que moi-même. Je n’avance pas, quoique je me donne beaucoup de peine, et Kami dit…

— Ce qu’il dit toujours : « Continuez, mesdemoiselles, continuez, mes enfans… » Cela ne suffit pas à encourager.

— Pourtant, il m’a promis l’été dernier qu’il me laisserait exposer cette année.

— Pas ici, je suppose.

— Non, bien sûr ; à Paris, au Salon.

— Peste ! tu voles très haut.

— Il y a assez longtemps que je bats des ailes. Où exposes-tu, Dick ?

— Je n’expose pas, je vends.

— Quelle est donc ta spécialité ?

Humiliation profonde pour Dick. Elle ne sait rien de lui. Est-ce possible ?

— Viens seulement jusqu’à Oxford-street.

Dans Oxford-street, se trouve un magasin de gravures que Dick connaît.

— Il y a là, dit-il d’un ton de triomphe contenu, quelques reproductions de mes tableaux.

Un groupe s’est formé devant la vitrine. Jamais encore le succès ne lui est apparu aussi enivrant.

— Eh bien ! tu vois le genre de choses que je fais.

Maisie admire l’élan d’une batterie de campagne en action sous le feu. Deux artilleurs, debout derrière elle, approuvent à leur manière : — C’est ça ! c’est bien ça !

Et Dick, gonflé d’orgueil, épie la physionomie de Maisie.

— Voilà ce qu’il me faudrait, dit-elle tout bas. Oh ! voilà, ce qu’il me faudrait !

— Regarde, chérie, ces yeux arrondis, ces bouches ouvertes… Ils ne savent pas pourquoi, mais moi je sais. Cela les touche. Mon travail est donc bon.