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aussi les siens. Elle a eu, elle a encore heureusement ses savans dans tous les ordres, inventeurs, chimistes, jurisconsultes, ingénieurs, mathématiciens, lettrés, qui comptent en Europe et dans le monde. Elle n’a eu à Paris, elle en a eu même dans ces écoles provinciales qui ont été parfois sous leurs dehors modestes des foyers de science. L’organisation qui a existé jusqu’ici n’a pas été, à ce qu’il semble, si stérile. Qu’il y ait eu dans l’enseignement supérieur des imperfections, des lacunes, des insuffisances, qu’il y eut et qu’il y ait encore beaucoup à faire, c’est possible. On s’est mis avec une ardeur croissante à cette œuvre, et on a été certes bien inspiré. On a renouvelé et agrandi ou créé les laboratoires, les bibliothèques, les collections scientifiques. On a élargi les cadres de l’enseignement, multiplié les chaires et relevé le professorat. On a stimulé l’essor des études et le développement des facultés. On a mieux fait : on a voulu rassembler les forces éparses de l’enseignement supérieur ; on s’est efforcé, par un décret de 1885, de coordonner ces facultés, en leur donnant une sorte de vie collective, une représentation commune. Bref, on a beaucoup dépensé, on a mis à contribution les villes et les départemens, comme l’État ; on s’est beaucoup remué, — mais on a marché. Jusque-là, rien de mieux. La question est maintenant de savoir ce qu’on veut faire avec les universités qu’on propose de créer comme un couronnement de l’édifice, comme des centres régionaux, permanens et organisés, d’enseignement supérieur, — ce que peuvent bien être ces universités et dans leur vie propre et dans le mouvement des choses en France.

Qu’en peut-il être, en effet ? La meilleure preuve qu’on va un peu au hasard, qu’on ne voit pas bien clair, c’est qu’on n’est pas arrivé à définir l’institution nouvelle ; on n’a réussi à la définir ni dans son principe, ni dans son rôle, ni dans ses conditions essentielles. On y a mis certes la meilleure volonté : ni M. Bardoux avec sa bonne grâce persuasive, ni M. le ministre de l’instruction publique avec sa parole brillante et sa philosophie n’ont réussi à dissiper l’obscurité.

Dire que les universités nouvelles sont destinées à dégager la formule ou l’âme de l’enseignement supérieur, à être pour ainsi dire l’expression de l’unité de la science, de l’unité de l’esprit humain, c’est évidemment se payer de mots ou rester dans les nuages ; c’est jouer avec une chimère qui s’est évanouie devant l’inexorable éloquence de M. Challemel-Lacour et les démonstrations si ingénieusement sensées de M. de Rozière. Les deux orateurs, qui ne manquent pourtant pas d’intelligence ni d’expérience dans les affaires de l’enseignement, ont avoué qu’ils ne comprenaient pas, qu’ils ne savaient pas ce que cela voulait dire, ce que c’était que la « science unique et universelle. » Pour rester dans le vrai saisissable et pratique, que seront donc ces universités dont on propose la création ? Sont-elles destinées à devenir des réalités sérieuses, des