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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/718

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M. de Zedlitz, hors des affaires, laisse M. de Caprivi à la chancellerie de l'empire en le déchargeant de la direction du ministère prussien, et fait du comte Eulenbourg, un ancien ministre disgracié sous M. de Bismarck, un président du conseil du royaume de Prusse ? Voilà qui reste une énigme dont on n'a pas encore le mot, quoique la crise ait eu une apparence de dénoûment.

A n'observer que le mouvement extérieur des choses et la marche ostensible que le jeune souverain allemand semblait décidé à suivre, on ne se doutait certes pas la veille encore de ce qui se préparait. Les troubles qui ont un moment agité Berlin, il y a quelques semaines, étaient passés. Il n'y a pas si longtemps que Guillaume II prononçait cet étrange discours resté fameux où il parlait de la politique comme d'une affaire entre Dieu et lui, où il déclarait lestement aux récalcitrans, aux mécontens, qu'ils n'avaient qu'à quitter l'empire s'ils ne voulaient pas se soumettre. La loi scolaire, qui avait si vivement ému les esprits, suivait son cours devant le parlement, soutenue avec énergie par le ministre des cultes, M. de Zedlitz, et par le chancelier lui-même, M. de Caprivi, qui mettait une sorte d'âpreté à défendre l'œuvre de son collègue. Les deux ministres croyaient manifestement représenter la pensée de l'empereur, dont la loi était l'expression. Que s'est-il donc passé ? Guillaume II, qui peu auparavant, troublé par les agitations révolutionnaires et socialistes, avait paru tourner vers la réaction, sentait-il tout à coup le besoin de s'arrêter, de ne pas aller plus loin ? S'est-il laissé émouvoir par les protestations du libéralisme allemand, par les résistances des universités, par la crainte de donner une arme au particularisme ? A-t-il cédé à une impression du moment, à cette idée singulière qu'il n'avait qu'à vouloir pour changer la direction de la politique et détourner des difficultés croissantes ? Toujours est-il qu'il y a quelques jours à peine, brusquement, à l'improviste, dans un conseil, il a témoigné d'un ton impérieux la volonté de renoncer à la loi scolaire. Il ne mettait pas la question en délibération, il la tranchait sommairement, souverainement. C'était le désaveu de ceux qui s'étaient compromis pour lui. C'était mettre les ministres dans l'alternative de se désavouer eux-mêmes du jour au lendemain ou de quitter le pouvoir. M. de Zedlitz, sur-le-champ, avant même de sortir du conseil, s'est décidé à la retraite, et le comte Caprivi lui-même, qui s'était engagé à fond pour la loi, n'a point hésité à offrir sa démission.

Ce qu'il y a de curieux, c'est qu'au moment même où il ouvrait d'une main légère et impatiente cette crise soudaine, l'empereur, peut-être atteint dans sa santé, quittait brusquement Berlin sans regarder derrière lui, et courait se réfugier dans un rendez-vous de chasse, au château d'Hubertusstock, au milieu des forêts, — et pendant quelques jours l'opinion est restée indécise, singulièrement intriguée, se demandant