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dans les animaux » ne nous permet pas, dit-il, « de deviner pour quelle fin » chaque partie existe. En un mot, dans les sciences de la nature, « où toutes choses doivent être appuyées de solides raisons, » la recherche des fins est « inepte. »

Bacon avait énuméré les erreurs et « idoles, » mais le grand iconoclaste qui les a brisées, c’est Descartes. Sa méthode se ramène à chercher en tout, par l’analyse, l’élément irréductible et « simple, » qui, « clair » en lui-même et « distinct » du reste, entraîne « l’évidence ; » après quoi, il faut recomposer la réalité par synthèse, « en supposant de l’ordre là même où nous n’en apercevons pas. » Descartes ne rejette nullement l’expérience, qui va, dit-il, « au-devant des causes par les effets. » Il était lui-même un observateur et expérimentateur de génie. Il pratiqua, le premier peut-être, la vivisection. Ses expériences sur l’arc-en-ciel sont un modèle. Tout l’avenir de la physique dépend, selon lui, « d’expériences qui doivent être faites avec soin et dépense par des hommes fort intelligens. » Sa fierté se refuserait à accepter l’argent nécessaire aux expérimentations, sinon de la part de l’État, qui, par malheur, ne s’en occupe guère. Il compare les philosophes qui négligent l’expérience à des hommes qui croient que la vérité sortira tout armée de leur cerveau, « comme Minerve du front de Jupiter. » L’expérience est doublement nécessaire, selon lui : pour nous fournir les « problèmes » mêmes à résoudre, pour « vérifier » nos déductions et solutions. Le monde, dit-il avec profondeur, est comme une écriture secrète, un « chiffre » qu’il s’agit de lire et d’interpréter. On attribue, par hypothèse, un sens à chaque lettre, et, si on obtient ainsi « des paroles qui aient du sens, » on ne doutera point que ce ne soit le vrai sens du chiffre. Le contraire, quoique possible, n’est pas « moralement croyable. » De même, si l’alphabet mathématique nous fournit une règle pour interpréter a les propriétés de l’aimant, du fer et des autres choses qui sont au monde, » nous aurons acquis pour notre science une « certitude morale. » Or, c’est à l’expérience d’établir cette certitude morale en confirmant nos hypothèses. Mais il y a une seconde sorte de certitude supérieure à la certitude morale : c’est « lorsque nous pensons qu’il n’est aucunement possible que la chose soit autrement. » Et il y a dans la nature des lois qui offrent cette certitude : ce sont les lois générales du mouvement : il faut donc s’efforcer d’y tout réduire.

Descartes se formait, on le voit, une idée très exacte des conditions de la science ; beaucoup de nos contemporains s’en font une bien moins parfaite. Son tort est d’avoir préféré trop exclusivement l’ordre déductif à l’ordre inductif. Il va, comme on l’a dit, du