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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/788

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lui fait défaut, mais parce que la machine corporelle est elle-même en partie détruite et ne peut plus fonctionner. « C’est se tromper que de croire que l’âme donne du mouvement et de la chaleur au corps. » Quelle différence y a-t-il donc entre un corps vivant et un cadavre ? La même différence qu’entre « l’horloge qui marche » et l’horloge usée et détraquée qui ne peut plus marcher.

Sur les origines de la vie et des espèces vivantes, Descartes se tait, par prudence sans doute ; mais ses principes parlent assez haut : tout ce qui n’est pas la pensée même doit s’expliquer par le mouvement ; la machine organisée ne peut donc être différente des autres et doit avoir son origine dans les lois de la mécanique universelle. Descartes admet les générations spontanées, — auxquelles on reviendra un jour, croyons-nous, sous une forme moins enfantine que celle dont M. Pasteur a fait la réfutation ; — Descartes reconnaissait donc la transformation possible du mouvement ordinaire en un tourbillon vital. La génération n’est pour lui qu’un phénomène chimique et calorifique. Et si l’on s’étonne, il répond avec l’éloquence géométrique d’un Pascal : « Quelqu’un dira avec dédain qu’il est ridicule d’attribuer un phénomène aussi important que la formation de l’homme à de si petites causes ; mais quelles plus grandes causes faut-il donc que les lois éternelles de la nature ? Veut-on l’intervention immédiate de l’intelligence ? — De quelle intelligence ? De Dieu lui-même ? Pourquoi donc naît-il des monstres ? »

Devançant Darwin, Descartes pressent la loi qui veut que les organismes mal conformés et stériles disparaissent, tandis que les organismes féconds subsistent seuls avec leurs espèces en apparence immuables. « Il n’est pas étonnant, dit-il, que presque tous les animaux engendrent ; car ceux qui ne peuvent engendrer, à leur tour, ne sont plus engendrés, et dès lors ils ne se retrouvent plus dans le monde. » En conséquence, les espèces fécondes subsistent seules à la fin. Mais il ne faut pas croire pour cela qu’elles aient été les seules productions de la nature, ni les œuvres d’un dessein spécial, pas plus que les formes de la neige ou de la grêle. Les objections qu’on adresse encore de nos jours à la grande conception de Darwin eussent fait hausser les épaules à Descartes.

Une fois produit mécaniquement, le germe se développe à son tour suivant les règles de la mécanique. « Si on connaissait bien, dit Descartes, quelles sont toutes les parties de la semence de quelque espèce d’animal en particulier, par exemple de l’homme, on pourrait déduire de cela seul, par des raisons entièrement mathématiques, toute la figure et conformation de chacun de ses membres, comme aussi réciproquement, en connaissant plusieurs