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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/820

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plaisirs intellectuels et esthétiques qui sont aujourd’hui le privilège d’une petite élite ? Il faut bien avouer qu’il ne trouve aucun moyen pratique et ne recommande même aucune mesure déterminée ; En tout cas, il ne sert de rien de faire des lois. Il serait plus utile de commencer par abroger la plupart des lois en vigueur.

Il se défend avec énergie d’être socialiste :


Je ne puis souscrire au programme de ce parti, écrit-il le 15 août 1886 au docteur Muller. C’est tant pis pour moi peut-être, mais certainement tant pis pour eux.

Je sympathise avec les mécontens. Je suis mécontent moi-même. Mais je prétends qu’ils se trompent dans le choix de leurs adversaires, comme sur les moyens de les combattre. Ils font le jeu de l’ennemi (en français dans le texte). Prudhomme et Cartouche, le bourgeois satisfait et le bandit en place leur doivent des remercîmens…

En politique, je ressemble plus à Danton, à Robespierre et même à Marat qu’à Lamartine, qui en 1848 inaugura sa carrière d’homme d’Etat par la suppression de la peine de mort en matière politique. Si j’avais été au pouvoir, j’aurais fait tomber des centaines, peut-être des milliers de têtes…

Mais on ne l’a pas voulu… Je ne puis suivre les socialistes… C’est moi qu’il faudrait suivre.

Je suis même antisocialiste. Les socialistes veulent rendre l’État tout-puissant ; j’insiste pour qu’on réduise son intervention au strict nécessaire.


Il ne demanderait pas mieux que de supprimer complètement l’État, qu’il regarde comme le plus grand ennemi du bien après l’Église. Laisser à toute force, à toute intelligence, à tout instinct, à tout désir, son cours libre et naturel ; abolir toute hiérarchie, toute subordination, toute discipline, supprimer toute autorité dans la famille, dans la nation, dans la société, voilà son idéal.

Le seul moyen d’y arriver, ce serait naturellement la dictature universelle d’un homme doué d’une haute et vaste intelligence, d’une volonté de fer, d’un amour ardent du bien, — d’un homme comme lui, enfin.

En dernière analyse, c’est plutôt aux anarchistes, aux nihilistes qu’il faut le rattacher. Mais, par une inconséquence qui fait plus d’honneur à ses instincts qu’à sa logique, il voudrait concilier l’anarchie aves l’urbanité, et ne pas sacrifier l’esprit et le cœur à la matière. C’est un anarchiste ganté de frais, — un girondin du nihilisme.