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bien, ou au contraire, comme on l’a dit souvent, en mal ? Quelles ont été par exemple les intimes et poignantes péripéties dont la bourse des humbles fut le modeste théâtre, cette bourse qui vit au jour le jour et n’a eu, depuis sept cents ans, d’autre ambition chaque année que d’en joindre les deux bouts ?

Ce sort, après tant de vicissitudes, a-t-il en définitive empiré aujourd’hui, ou s’est-il amélioré ? Et dans quelles limites, sous l’action de quelles causes ? La masse de notre temps est-elle plus heureuse que la plèbe des temps qui l’ont précédé ? Plus heureuse économiquement, bien entendu, puisqu’il y a plusieurs sortes de bonheurs : le bonheur prêché par les religions, qui consiste à se résigner à la volonté de Dieu, à regarder la vie présente comme une épreuve, pour obtenir après la mort une félicité parfaite ; le bonheur philosophique, qui réside dans le contentement de ce qu’on a, même quand on n’a rien ou très peu de chose, dans la restriction de ses désirs à la faculté que l’on a de les satisfaire. Il y a aussi le bonheur moral, celui qui résulte des affections partagées, des succès obtenus, de tout ce qui flatte et réjouit l’esprit ou le cœur.

A celui-là se rattache, pour le plus grand nombre des citoyens, la possession de la dignité civique, de droits publics étendus, de la plus grande somme possible de liberté et d’égalité, acquise en commun à tous les membres de la nation indistinctement. Il est clair que, politiquement et socialement, la situation du Français actuel n’est pas à comparer avec celle de ses pères. On en suit, à travers les âges, les progrès lents ou rapides, selon les époques, mais presque incessans, pour admirer, à la fin de notre siècle, le degré d’élévation où elle est enfin venue, qui semble son maximum. Là-dessus tout le monde est d’accord.

Mais ce n’est pas aux jouissances de cet ordre que notre étude est consacrée. Elle ne s’occupe que du bonheur économique, de celui qui, contrairement au proverbe inventé par des millionnaires que « la richesse ne fait pas le bonheur, » naît de la richesse, ou tout au moins de l’aisance, qui consiste dans l’accroissement des besoins, créés par la possibilité de les satisfaire, du bonheur matériel enfin, de la douceur de vivre, du bien-être.

Quel est à cet égard le bilan des découvertes modernes ? Avançons-nous ou croyons-nous seulement avancer ? Sommes-nous le jouet d’illusions vaines ou avons-nous conquis quelque chose… et quoi ? La question m’a paru d’importance, et de nature à en faire surgir beaucoup d’autres. L’histoire politique et militaire de la France est faite, refaite même, et par des maîtres ; on est en train d’en mettre à nu les détails. Les négociations diplomatiques, les intrigues, les pensées les plus secrètes du passé, sont étalées