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libres peut être malheureuse. Ce que de mauvais gouvernemens ont possédé sans le chercher, par suite d’évolutions physiques qui s’accomplissaient de leur temps, en dehors d’eux, à savoir le bien-être de la masse de leurs sujets, de bons gouvernemens le chercheront avec zèle et bonne foi, sans l’obtenir, parce qu’ils auront à lutter avec des forces naturelles contre lesquelles ils sont et seront toujours impuissans. Il est un enseignement donné par l’expérience des siècles qui viennent de s’écouler, c’est que, lors même que rien ne serait libre en un État, le prix des choses le demeurerait néanmoins, et ne se laisserait asservir par quiconque.

Ce que les despotes, régnant sur des populations ignorantes, n’ont pu faire dans des époques presque barbares, des parlemens, légiférant au nom d’électeurs souverains, ne l’imposeront pas à leurs commettans. Les ordonnances royales d’hier n’ont pu faire baisser, parle maximum qu’elles édictaient, le salaire des ouvriers ; les lois démocratiques de demain ne pourraient pas davantage faire hausser ces mêmes salaires, par le minimum qu’elles se flattent d’imposer. Quoiqu’il soit, en théorie, du devoir de la politique de chercher à augmenter, par des mesures législatives, le bien-être du plus grand nombre, il n’est pas pratiquement en son pouvoir de réaliser cette augmentation, non pas même d’y influer sérieusement. Et la seule chose qu’elle puisse faire, c’est de ne pas entraver, par des tentatives incohérentes, l’accroissement spontané du bien-être, que le libre jeu des forces économiques procure de nos jours à l’ouvrier.

Voilà ce que nous apprend l’histoire, qui offre, pour les faits de ce genre, un large champ d’observation. Qu’on laisse agir la civilisation moderne ! Les résultats qu’elle a jusqu’ici obtenus, — et ce sera une seconde conclusion de ces articles, — sont en vérité extraordinaires. Le progrès contemporain agit exclusivement dans l’intérêt du travailleur : le capital mobilier, puis le capital immobilier, ont été atteints l’un après l’autre, par la baisse du pouvoir de l’argent, de la livre tournois et du taux de l’intérêt, par la concurrence étrangère. Le travail gagne tout ce qu’ils ont perdu, tout ce qu’ils perdront encore. Les prodigieuses découvertes auxquelles nous assistons depuis cent ans auront pour effet fatal l’abaissement des capitalistes qui ne sont pas autre chose que des capitalistes, c’est-à-dire de la propriété léguée et oisive, en même temps que la glorification du travail, et de la propriété personnelle et récente.

Les observations qui précèdent, aussi bien que celles qui vont suivre, ont pour fondement solide les prix anciens des terres, des denrées, des salaires, et de toutes les marchandises imaginables, réunis par moi au nombre d’environ quarante mille, et classés en