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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/891

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femmes. Au surplus, bons garçons, faciles à vivre, faciles même à gouverner, mais si paresseux, si menteurs, tellement enclins à rejeter tout fardeau, à décliner toute responsabilité, que jusqu’ici nulle entreprise sérieuse ne peut faire fond sur eux seuls.

Toutefois, comme il faut vivre, le Birman travaille. En Basse-Birmanie, il peut encore s’en fier aux autres du soin de lui faire gagner sa vie : le plus fainéant trouve dans les manufactures ou sur les ports un -modique salaire, qui suffit à ses besoins plus modiques encore. Mais en Haute-Birmanie, force lui est de ne compter que sur lui-même. Il cultive son champ de riz, avec les instrumens les plus primitifs ; il garde quelques chèvres, — qu’il préfère aux moutons, — parfois même une ou deux vaches, qu’il élève pour la viande, non pour le lait ; car il partage la répugnance de tout l’extrême Orient à « devenir le frère de lait du bufflon. » Ou bien encore à sa petite culture il joint une industrie domestique : il tisse avec de la soie, qu’un marchand chinois lui aura vendue, les vêtemens de la famille, sorte de jupon appelé pour l’homme putso, pour la femme tamelin. Dans quelques centres, il y a même des industries plus compliquées : Yule a vu, durant son exploration, fabriquer du papier, si grossier d’ailleurs, que les indigènes préféraient, pour écrire, la feuille d’un palmier ; tailler le marbre, en faire même des statues d’un poli extraordinaire ; préparer de la laque d’une belle qualité, etc.

Mais tout cela est ou enfantin ou purement artistique : ce n’est pas de l’industrie. Le Birman produit pour lui, au fur et à mesure de ses besoins, ou pour le client, au fur et à mesure de la demande ; il ne s’est pas encore élevé à la notion de l’épargne ou de la fabrication pour ce qu’on appelle aujourd’hui le stock.

Il ne sait pas davantage le commerce. Comment l’aurait-il appris ? Les Chinois, en tout temps, et, avant la venue des Anglais, ses rois eux-mêmes lui en ont épargné le souci. C’était le profit et l’un des plus sûrs revenus du roi que d’acheter les produits du pays pour les vendre aux Chinois et aux Européens, et parfois même d’acheter en retour les produits de l’étranger, qu’il revendait à ses sujets. Il possédait, pour cela, deux grands entrepôts de commerce : l’un à Bhamo, près de la frontière de Chine ; l’autre à Thayet-Myo, sur la frontière de la Birmanie anglaise. Il vendait du coton, du caoutchouc, du plomb, du bois, des rubis. On évaluait, pour une seule année, le bénéfice de ses opérations à 6 millions de francs. Naturellement, le peuple n’en recevait aucune part. Pressuré par le roi, qu’imitaient ministres et mandarins, dégoûté d’un travail qui n’enrichissait que ses maîtres, réduit d’ailleurs, par son inconcevable indolence, à une vie d’inaction et de paresse, ce peuple est, jusqu’à nos jours, demeuré un peuple enfant.