Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/919

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’argent pour les exécuter, et les Anglais en Birmanie se sont, dès la première heure, trouvés arrêtés par les difficultés financières, comme les Français l’ont été au Tonkin. Toutefois, entre ces deux pays, on ne peut faire une comparaison bien exacte. Leur situation est semblable sous ce rapport que, ni le Tonkin, ni la Birmanie ne peuvent, avec leurs seules ressources, suffire aux dépenses d’un budget cependant très réduit ; mais elle diffère profondément sous celui-ci : que le Tonkin, pour obtenir les ressources complémentaires, s’adresse à la métropole, et que la Birmanie s’adresse au gouvernement général de l’Inde.

J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer, mais il n’est pas inutile de redire que l’Inde n’est pas une colonie comme les autres : c’est une vice-royauté. C’est un organisme indépendant de la métropole, qui a sa vie propre et qui, sous le contrôle toutefois du gouvernement britannique, dirige sa politique intérieure et extérieure en toute liberté. La condition de cette indépendance, c’est qu’elle ne gênera ni la politique, ni, — ce qui serait plus facilement à craindre, — les finances anglaises. L’Inde, comme les pays riches et organisés, a des ressources de deux sortes : l’impôt et l’emprunt. Dans la limite de ses ressources et à la condition de n’abuser ni de l’une ni de l’autre, elle est maîtresse d’établir, à peu près comme il lui plaît, le budget de ses dépenses. Et cela a pour elle des conséquences importantes. Je n’en veux indiquer qu’une seule.

Dans une colonie ordinaire, entre la conception et la réalisation des plans, il y a un abîme. Supposons qu’au Tonkin l’on veuille construire un réseau ferré. Le gouverneur demande un projet à la direction locale des travaux publics. Ce projet est envoyé à Paris au sous-secrétaire d’État, qui le fait examiner dans ses bureaux. Mais ces bureaux, compétens pour en étudier ce qui intéresse la politique, le commerce, les finances, ne le sont plus pour ce qui regarde l’art de l’ingénieur. On va donc confier l’examen de cette partie du projet soit au conseil supérieur des ponts et chaussées, soit à une commission spéciale, qui ne manquera pas d’y apporter des modifications. En conséquence, on le renverra, « pour supplément d’études, » au service local. Mais le temps a passé ; l’auteur responsable du projet primitif n’est plus là ; le nouvel ingénieur a une manière de voir qui n’est celle ni de son prédécesseur, ni du conseil ou de la commission ; il fournit un plan qui, après beaucoup de temps, va peut-être parcourir à nouveau la même filière. Supposons qu’enfin l’on ait pu se mettre d’accord : reste la question d’argent. Aux colonies pas plus qu’ailleurs, les chemins de fer ne se construisent ordinairement avec des excédens budgétaires, mais bien avec des emprunts ou des subventions de la