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soit une portée générale, soit un caractère d’urgence. Mais comment distinguer la loi de l’arrêté ? C’est ce que le conseil fédéral n’a pas cru pouvoir faire dans le message joint à la loi sur les votations populaires du 17 juin 1874, sous prétexte « qu’une définition, quelque bonne qu’elle soit, est toujours sujette aux interprétations. » L’assemblée fédérale s’est donc attribué le droit de décider, pour chaque cas spécial, si un décret législatif est une loi ou un arrêté, si l’arrêté est ou n’est pas d’une portée générale et présente un caractère d’urgence. On arrive ainsi, dans la pratique, à soustraire au referendum, outre les arrêtés pris pour des cas concrets (par exemple ceux qui accordent la garantie fédérale aux constitutions cantonales), les traités avec les États étrangers, le budget annuel et l’approbation des comptes de l’État, les crédits pour l’acquisition du matériel de guerre, les subventions pour la correction des rivières et la construction des routes. La Suisse elle-même a donc senti le péril d’une intervention populaire un peu trop fréquente, et l’on a sinon tourné, du moins interprété la constitution avec une grande complaisance pour conjurer l’abus du referendum. Il n’est pas même démontré que le referendum soit un rouage utile dans un État quelconque ; mais, bon ou mauvais, c’est une institution républicaine qu’il faut laisser aux républiques.

Si le referendum n’a, jusqu’à ce jour, apparu dans aucune monarchie constitutionnelle, c’est qu’il est incompatible avec le principe même d’une telle monarchie. Les diverses formes de gouvernement sont régies, comme les corps semés dans l’espace, par des lois qui leur sont propres. Que se passe-t-il en Angleterre ? Le roi n’exerce plus aujourd’hui dans le gouvernement de l’État une action directe : il se trouve devant le conseil des ministres, c’est-à-dire devant un comité d’hommes délégués par la chambre des communes, auquel il ne saurait imposer ses vues personnelles. Il est toujours le chef de l’État, le représentant de la nation, le symbole visible de l’autorité ; mais il ne détient plus, en fait, cette autorité. L’ancien pouvoir coercitif qui s’imposait à la volonté des ministres est remplacé par une influence morale qui s’adresse à leur raison. Bagehot, dans son ouvrage sur la constitution anglaise, veut bien reconnaître encore ce triple droit au souverain : être consulté par les ministres, les encourager, les avertir ; et chacun admet qu’un prince habile, respecté, soutenu par la loyalty de ses sujets, peut exercer même par des avertissemens, même par des conseils, un contrôle bienfaisant sur les affaires publiques. Mais enfin nous sommes à mille lieues du referendum ! Tandis que, d’après les maximes fondamentales de la monarchie