publiques, et cependant, sans qu’il s’en doute, l’indépendance, l’existence même de la nation sont peut-être en jeu !
Les adversaires du referendum reconnaissent sans doute qu’on ne sera pas tenu de soumettre tous les actes législatifs à la sanction populaire, et personne n’ignore qu’il s’agit seulement ici d’un recours facultatif. La couronne, à coup sûr, n’a pas l’intention de provoquer l’intervention directe du peuple à la moindre menace de conflit et pour résoudre les difficultés de second ordre, inhérentes à l’exercice même du gouvernement. Mais d’abord saura-t-elle indéfiniment discerner les bonnes occasions (s’il en est de bonnes) des mauvaises ? Un ministère compromis ne sera-t-il pas toujours très enclin à croire que le monde est près de s’écrouler si le corps électoral n’est pas, sous un prétexte quelconque, mis en branle ? Quand le prince aurait tout le discernement possible, quand il serait capable de résister aux instances de son cabinet, on saura peut-être lui forcer la main d’une autre manière. Pour imposer le referendum à la couronne, un parti puissant organisera, le cas échéant, ce qu’on nomme « une campagne de presse » contre le roi lui-même et saura, s’il le faut, employer l’invective ou la calomnie ; conjecture évidemment invraisemblable eu égard au tempérament sage, aux mœurs véritablement constitutionnelles du peuple belge, mais que les adversaires du referendum admettent, à titre de simple hypothèse, pour témoigner de leur foi monarchique et de leur ardeur à préserver la couronne de l’ombre même d’un tel péril. Bien plus, si cela ne suffit pas et si le prince résiste encore, les sommations de l’émeute succéderont aux attaques de la presse. Quand on aura crié pendant un mois referendum ! referendum ! sous les fenêtres du palais, la royauté sera bien près de céder.
Admettons néanmoins qu’un prince très ferme résiste à ces revendications violentes : il sera facile de persuader à la démocratie qu’elle a été leurrée par une promesse trompeuse. Si l’on n’abuse point du droit qu’elle a d’être consultée, elle se figurera bientôt qu’on n’en use pas et qu’on se méfie d’elle. Elle réclamera par les voies légales et, comme on ne réduit pas aisément la démocratie pure à la portion congrue, elle obtiendra tôt ou tard soit la substitution du referendum populaire au referendum royal, soit au moins leur juxtaposition. Tel sera peut-être le thème de l’opposition démocratique quand il s’agira, dans une quinzaine d’années, de réviser une seconde fois la constitution belge. Le jour où cette nouvelle brèche serait faite dans la citadelle, on peut en rendre les clés ; la monarchie aura capitulé devant la république. La royauté n’aperçoit pas l’abîme entr’ouvert sous ses pas ; il faut, à tout prix, la sauver d’elle-même.