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d’innover. Le referendum est en vigueur dans quelques républiques : aucune monarchie constitutionnelle ne l’avait encore pratiqué. Mais aucun homme d’État ne se figure, fût-il le plus endurci des conservateurs, que le dernier mot de la politique consiste à n’innover jamais. La monarchie anglaise a subi, par exemple, même dans les temps modernes, des transformations successives. Au XVIIe siècle, les Stuarts dispensaient encore de l’exécution de certains statuts et les légistes commentaient la fameuse maxime : A Deo rex, a rege lex ; les pouvoirs du souverain furent limités par le Bill des droits du 24 février 1689. Cependant l’action de quelques princes, par exemple celle de Guillaume III et de George III, fut souvent prépondérante, et l’on a pu répéter que, si le gouvernement absolu disparut à partir de 1688, il y eut encore en Angleterre un gouvernement personnel ; or il est indubitable que l’axe du pouvoir s’est déplacé dans le cours des deux derniers siècles : la puissance réelle a passé, non pas même de la couronne au parlement, mais de la couronne à la chambre des communes. Les lois qui gouvernent le monde moral changent avec les besoins et les sentimens des sociétés humaines ; comment les monarchies constitutionnelles échapperaient-elles à ces vicissitudes ? Que d’institutions peuvent être modifiées sans qu’une monarchie cesse, à proprement parler, d’être constitutionnelle !

Royer-Collard, qu’on ne peut trop citer dans un tel débat, répondit un jour avec une remarquable élévation de langage à certains royalistes qui voulaient immobiliser la royauté moderne : « Je pourrais dire à ces hommes : votre intelligence, c’est-à-dire notre faible intelligence, car je ne me sépare point ici de vous, est-elle la mesure des choses ? N’est-il encore arrivé rien d’imprévu ? Voici un état nouveau du monde, il est vrai, et le changement qui s’est opéré dans les esprits est encore plus intime et plus profond qu’il ne s’annonce au dehors… Les sages de l’antiquité connaissaient aussi bien que nous les conditions générales de la société : auraient-ils imaginé le gouvernement féodal ? Et si le gouvernement féodal à son tour avait eu des philosophes, ces philosophes lui auraient-ils prédit qu’il portait dans ses flancs la constitution des États-Unis d’Amérique ? Laissez donc faire le temps et ne vous hâtez pas de prononcer des arrêts de mort contre les sociétés. » Réponse d’autant plus significative que cet homme d’Etat fut l’adversaire de la monarchie absolue comme de la république et le grand évangéliste de la monarchie constitutionnelle. Au demeurant, innover n’est en soi ni bon ni mauvais : le tout est d’innover à propos.

Or, s’il saute aux yeux que le referendum royal diffère par certains côtés du referendum populaire, et nous nous gardons bien de