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Sans la recommencer, il faut bien en rappeler quelques traits. Tout marchait assez mal dans la colonie, et l’état des finances n’était pas prospère, lorsqu’en 1867 un commerçant, John O’Reilly, crut reconnaître le premier diamant dans une collection de jolis cailloux ramassés au bord de l’Orange, chez un boer nommé Schalk van Niekerk. On fit examiner la pierre par différentes personnes, entre autres M. Héritte, consul de France au Cap, qui était d’une famille de lapidaires. Cette gemme, car c’en était une, pesait vingt et un carats et fut vendue au gouverneur sir Philip Wodehouse pour cinq cents livres sterling. Une seconde et une troisième se trouvèrent bientôt dans la même région ; l’année suivante il y eut encore plusieurs découvertes ; en mars 1869, on achetait le Star of South Africa à un sorcier indigène qui s’en servait depuis longtemps comme d’un charme, sans savoir qu’il tenait une fortune. Ce superbe diamant de quatre-vingt-trois carats valut dix mille francs au sorcier, deux cent cinquante mille à l’heureux acheteur ; il appartint ensuite à la comtesse de Dudley. On l’estimait en 1870, taillé, six cent vingt-cinq mille francs. Peu de gens, néanmoins, croyaient à l’existence de mines. D’après une opinion courante, ces pierres devaient venir de fort loin. Un expert appelé de Londres imagina que les autruches sauvages les avaient apportées. L’autruche digère beaucoup de choses, comme on sait, mais elle ne digérait pas le diamant. Depuis lors on a déterré au Cap un des plus gros diamans connus, de quatre cent quatre carats ; malheureusement il était jaune. Cela fit dire que tous, dans ce pays, étaient jaunes. Rien de plus inexact. En vingt ans, le Cap a produit pour plus d’un milliard de ces pierres précieuses.

Heureusement des contrées qui achetaient autrefois peu de diamans, les États-Unis et la Chine, par exemple, se mirent à rechercher cet article. La demande a augmenté avec l’offre. Néanmoins une industrie comme celle-là doit songer avant tout à maintenir sa production dans de justes bornes ; elle prospère à la condition de ne pas trop se développer. Quand vous avez triplé la valeur des gemmes brutes par les frais d’expédition, d’assurance, de commission, de taille, de montage, avec le bénéfice du détaillant, vous obtenez un chiffre formidable. Quand on cesse d’exploiter une mine de diamant comme une simple carrière, à ciel ouvert, sous la perpétuelle menace de quelque éboulement ; quand on y travaille comme dans une mine de charbon, en perçant des galeries souterraines ; et quand le « bleu, » la gangue diamantifère, semble inépuisable ; on risque de mettre au jour plus de hochets que l’humanité n’en porte et de déprécier un objet de luxe déjà rabaissé par les progrès de l’imitation. La pire chose à craindre alors, c’est