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lainières, pas assez ovicole pourtant pour qu’on pût se flatter d’autre chose que de couvrir ses frais en transportant de la laine, un pays d’autruches, dont les plumes légères tiennent peu de place, et pour arriver où ? A une fosse pleine de diamans, de petites pierres aussi précieuses qu’insuffisantes pour remplir des trains et voyageant par la poste ?

Le parlement colonial se rendit compte de ces difficultés ; il comprit que la manière la plus économique et la plus rapide d’y pourvoir était de renoncer à l’initiative privée, et, un an après l’adoption du régime responsable commença, dans trois directions parallèles, la mise en marche de colonnes d’ouvriers lancées à l’assaut de l’intérieur, avec une vitesse de deux cent soixante à deux cent quarante kilomètres par année. Ce fut le ministère Molteno qui eut l’honneur de soumettre aux chambres la première partie du projet ainsi arrêté- en principe. Il n’existait pas alors, à Kimberley, de grande compagnie minière qui aurait pu entreprendre la construction d’une ligne si considérable à ses risques et périls. Une foule hétéroclite de chercheurs « individuels, » comme on les appelait, donnait aux excavations l’apparence de ruches, aux innombrables alvéoles. L’État seul, d’ailleurs, était apte à concevoir mieux qu’une ligne, un réseau. Seul, avec une hauteur de vues et un souci de l’avenir où l’intérêt industriel et mercantile ne saurait s’élever, il pouvait jeter les bases d’un tracé de chemins de fer dont nous voyons aujourd’hui le remarquable développement.

Quand nous comparons cette histoire avec celle de l’Algérie, nous voyons qu’on s’est inspiré au Cap d’idées bien différentes. Nous avons commencé par une ligne longitudinale dans le sens des côtes, et c’est beaucoup plus tard que nous avons ouvert, par le Kreider et Biskra, des voies de pénétration. Au sud-Afrique, les choses auraient peut-être suivi un cours tout pareil si le hasard avait placé les diamans à plus proche portée du commerce maritime. On aurait parfaitement bien pu débuter aussi par un chemin de fer parallèle au littoral, faisant concurrence à la navigation, ce qui en soi ne semblerait pas un avantage : des raisons politiques et administratives auraient balancé cet inconvénient réel. L’ancien séparatisme, l’hostilité sourde de l’est et de l’ouest, celui-là plus anglais, celui-ci hollandais, aurait suffi pour justifier la création de ce lien entre les provinces. Dans notre colonie, la question se compliquait d’un intérêt stratégique. Mais laissant là des conjectures rétrospectives, nous devons constater quelle avance le plan général des voies ferrées du Cap a donné à ce pays sur l’Algérie, pour l’attaque de son Sahara, le Kalahari, et la conquête de son hinterland, la région du Zambèze.