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parlement qui l’appuyait, tout aurait disparu ! Ce n’est donc point d’aujourd’hui qu’il y a de ces phases de trouble où une société tout entière semble agitée d’indicibles malaises ; mais il y a sûrement des degrés, des perfectionnemens à tout, même au mal, même au crime. Un demi-siècle a ajouté à toutes les altérations, à toutes « les ruines que les révolutions successives ont produites, » c’était déjà le mot de Tocqueville il y a cinquante ans. 1892 est en progrès de plusieurs révolutions sur 1847, et il n’y a pas à s’en défendre, il n’y a pas à épiloguer, c’est une réalité trop cruellement évidente : jamais peut-être plus qu’à l’heure présente le danger ne s’est manifesté par tout un ensemble d’idées et de faits, par l’anarchie morale comme par cette série d’attentats qui se succèdent, qui éclatent au milieu d’un pays surpris de se sentir livré à toutes les fatalités.

On s’étourdit volontiers autant qu’on le peut, on se laisse aller au courant rapide des choses ; on s’accoutume presque à vivre entre deux grèves, entre deux crises, comme entre deux explosions. On se fie un peu trop à cette force vivace d’une masse nationale honnête et laborieuse qui se défend par son.propre poids autant que par son bon sens contre les agitations factices, — qui reste le dernier et souverain point d’appui. Le danger n’existe pas moins sous toutes les formes, et c’est une question de savoir combien de temps un pays peut résister à ce régime qu’on lui fait. Car enfin, quel est-il cet étrange régime qui va en s’accentuant, en s’aggravant ? Voilà une société qui a ses affaires, ses intérêts, son travail de tous les instans, qui ne demande qu’à vivre en paix : on lui signifie périodiquement que tel jour, — comme ce jour du 1er mai où nous sommes, qui se trouve justement cette année être le jour des élections municipales en France, — on se servira des droits qu’elle a libéralement accordés aux ouvriers pour organiser des manifestations contre elle, pour opposer à son armée une sorte d’armée des syndicats ; on lui déclare qu’on se propose de marcher sur elle, de l’intimider par le déploiement des forces ouvrières mobilisées et de lui dicter la loi si on le peut. Elle passera sans doute comme celles qui l’ont précédée, cette nouvelle journée du 1er mai. Elle ne reste pas moins une crise organisée, préméditée, devant laquelle tout est momentanément suspendu, qui oblige le gouvernement à se mettre sous les armes. C’est un rendez-vous d’agitation à jour fixe, avec ses chances de surprises ou peut-être même d’incidens douloureux brutalement provoqués. — Et en même temps, cette malheureuse société, elle est désormais réduite à s’avouer qu’elle a dans ses bas-fonds, on ne sait dans quels repaires obscurs et inavoués, des malfaiteurs qui ne rêvent que sa destruction, qui calculent leurs coups avec une haine froide et que la répression même ne décourage pas. Il y a peu de jours encore, les attentats se sont succédé avec une suite et une violence qui ont ému