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société par les paniques, par toutes les confusions d’idées, par l’inquiétude du lendemain, de l’explosion prochaine, au moins, toujours possible !

C’est l’instabilité sous sa forme violente, brutale. Ce n’est pas, d’ailleurs, la seule forme du danger aujourd’hui. Il y a bien d’autres faits qui, sans être aussi crians, ne restent pas moins une obsession inquiétante, un signe visible du trouble universel. Certes s’il y a une chose frappante à l’heure où nous sommes, c’est la préoccupation des lois et des conditions du travail ; c’est la volonté presque passionnée, commune à tous les pouvoirs, à tous les partis, d’alléger le fardeau de la vie pour ceux qui travaillent, de mettre l’équité, l’égalité dans leurs rapports avec ceux qui les emploient, de leur assurer la liberté de défendre leurs intérêts.

Depuis longtemps, depuis quelques années surtout, c’est une sorte d’idée fixe. On ne songe qu’à cela ; on n’est occupé qu’à faire ou à préparer des lois de paix sociale et de prévoyance sur les rapports des ouvriers et des patrons, sur les retraites, sur les accidens du travail, sur la condition des femmes et des enfans dans les manufactures, sur l’instruction professionnelle. Tout tend à assurer la sécurité et à relever la dignité du travail ; mais il est bien clair que toutes ces lois, malheureusement quelquefois assez décousues ou inspirées par de faux calculs de popularité, sont faites ou doivent être faites pour être une œuvre de paix, non une œuvre de haine et de division. Elles doivent être une garantie pour les ouvriers, non la ruine et la servitude des patrons ; elles ne peuvent pas, elles ne doivent pas surtout être un instrument mis dans les mains de quelques meneurs pour faire le siège de la société tout entière, pour l’opprimer dans ses intérêts, dans ses services publics. Que se passe-t-il cependant depuis quelque temps ? L’an dernier, ce sont les boulangers coalisés qui n’ont pas craint d’avouer la pensée d’affamer Paris. Puis ce sont les syndicats des chemins de fer qui ont menacé d’interrompre le plus grand des services au détriment du public. N’a-t-on pas parlé tout récemment d’une grève des gardiens de police, — tout simplement pour le 1er mai ? Ce n’était peut-être pas bien sérieux : qu’on en ait parlé, c’est déjà un curieux symptôme du trouble des idées. Il n’y a que quelques jours, les meneurs ont essayé de raviver le mouvement de l’an dernier dans les chemins de fer, et on s’est naïvement étonné que dans un moment de travail pressant les compagnies aient refusé des congés et des permis pour venir organiser la guerre contre elles ? Rassemblez tous ces faits, — et les attaques par le fer ou le feu, et les revendications d’un socialisme confus, et la dynamite des anarchistes, et les grèves, et les agitations des syndicats, dénaturés, organisés pour la guerre : en réalité, c’est la société tout entière atteinte ou menacée dans sa sécurité,