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et ils abusent souvent du privilège qu’ils ont d’être une sorte d’appoint dans les rapports des plus grandes puissances. Ils ne décident certainement pas des événemens ; ils sont à tout instant l’occasion d’incidens qui ne seraient rien par eux-mêmes, qui n’ont d’importance que parce qu’ils remettent sans cesse en présence toutes les politiques, toutes les chancelleries, parce qu’ils viennent démontrer que rien n’est jamais fini en Orient. La moindre crise dans ces provinces qui furent autrefois une partie de l’empire turc, qui en sont désormais détachées, suffit pour rappeler qu’il y a toujours une question orientale pour l’Europe.

Tout est passablement incertain dans ces contrées du Danube ou des Balkans et ne se soutient que par les antagonismes qui se neutralisent. Rien n’est fini surtout dans cette principauté de Bulgarie, qui s’est mise en dehors des traités, où il y a toujours des annexions qui ne sont pas reconnues, une révolution sans aveu, un prince contesté, avec un premier ministre qui passe sa vie à réprimer violemment des résistances intérieures ou à soulever des incidens extérieurs. M. Stamboulof, qui est le dictateur de Sofia bien plus que le prince Ferdinand de Cobourg, n’avait pas fait parler de lui depuis quelque temps, depuis les derniers complots qu’il a étouffés dans le sang ou la dernière querelle qu’il a cherchée à la France. Il a tenu à prouver au monde qu’il existait toujours. Il ne veut pas être oublié, et il a saisi récemment le premier prétexte qui s’est offert à lui pour renouveler les plaintes, les objurgations, les revendications : tout ceci à propos d’un incident fort malheureux sans doute, mais d’une importance limitée. Il y a peu de temps un agent bulgare à Constantinople, M. Voulkovitch, a été assassiné au seuil de sa maison. M. Voulkovitch est-il tombé sous les coups d’un meurtrier vulgaire ? A-t-il été victime de quelque vengeance politique exercée par des émigrés bulgares réfugiés à Constantinople ? On ne le sait même pas encore. La police turque s’est mise aussitôt en campagne. Elle a fait du zèle et a multiplié les arrestations ; elle n’a pas découvert jusqu’ici le meurtrier : elle n’est peut-être pas près de le découvrir. Toujours est-il que, sans plus attendre, M. Stamboulof s’est livré à toute sorte de démonstrations. Il a tenu à envoyer chercher avec ostentation les dépouilles de son agent et à faire de la mort de M. Voulkovitch un deuil national. S’il s’était borné à rendre des honneurs particuliers, même un peu démesurés, à la malheureuse victime d’un meurtre, il n’y aurait encore rien à dire ; mais M. Stamboulof ne s’en est pas tenu là. Il a voulu visiblement profiter de l’occasion pour faire du bruit, pour essayer de susciter quelque complication. Il s’est tourné vers la Porte en vassal révolté et impérieux ; il a assailli le divan de sommations et de récriminations, suspectant la police turque, mettant en cause la Russie elle-même,