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Fahrenheit et Réaumur venaient de graduer le thermomètre ; Walt allait construire la machine à vapeur, et la machine à frotter d’Otto de Guéricke devenait la machine électrique. Aucun être, aucun phénomène n’était réputé indigne de l’observation, car on savait ce que rapporte à l’intelligence de l’homme et à sa puissance de regarder la vapeur qui soulève le couvercle d’une marmite et d’étudier les jeux de la lumière ou les organes des animaux humbles et des plantes dédaignées. Rien ne paraissait inaccessible à l’observation et à l’expérience conduites par la méthode et raisonnées par la raison. Aussi la théologie déclinait, et, avec elle, la métaphysique, même celle que Descartes avait établie sur la certitude de l’être démontrée par le fait de la pensée. L’esprit ne descendait plus des principes aux réalités, mais des réalités, constatées par lui, il s’élevait d’un vol rapide aux principes. La science, qui n’était pas encombrée du détail immense des phénomènes, ni requise pour les usages de la vie, avait la légèreté de l’éther. Et l’homme était en même temps que la nature un objet d’étude pour l’homme. Il se ressaisissait sur les idées admises et les traditions les plus vénérables, sur la politique et sur les religions ; il cherchait Dieu par-delà les églises, lui-même par-delà l’histoire, dans les temps inconnus où ses fraîches épaules n’étaient encore façonnées à aucun joug.

La joie des découvertes provoquait au mépris du passé. Le contraste était si vif entre les idées et les espérances d’une part, et, de l’autre, les institutions et les mœurs que celles-ci semblaient ridicules ; aussi la lutte était-elle gaie et l’esprit en fut l’arme principale. La certitude d’entrer dans un monde nouveau et de voir de belles choses auxquelles succéderaient des choses plus belles encore indéfiniment, animait l’ironie d’une sorte d’allégresse. Nous avons beaucoup abusé des mots obscurantisme et lumière, et, tous les jours, nous entendons célébrer les lumières par des aveugles, mais l’éveil du XVIIIe siècle était bien une aurore ; son espérance semblait sortir de la nuit, et, même quand il s’inquiétait et se troublait en sentant la persistance et la résistance du mystère, il jouissait encore de l’orgueil de voir s’élargir devant lui la nature, l’homme, et, comme dira Diderot, Dieu lui-même.

L’esprit du siècle avait pénétré Frédéric par l’éducation qu’il avait reçue de ses premiers maîtres et par ces voies inaperçues que suivent jusqu’au berceau des nouveau-nés les grandes influences intellectuelles et morales. Il a l’universelle curiosité et l’activité alerte de l’intelligence : « Je voltige de la métaphysique à la physique, de la morale à la logique, de l’histoire de la musique à la poésie. » Il connaît les grands géomètres et leurs systèmes pour