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IV

Si le mouvement moléculaire vital est la base même de la vie, dans quelle mesure va-t-il en régler les manifestations ? Va-t-il faire sentir son influence seulement pour le maintien de la forme extérieure, ou la commander dans une certaine mesure ? Il la commande, en effet, et tous les caractères extérieurs de l’espèce et de l’individu nous apparaissent en définitive comme subordonnés aux conditions de leur chimie intime.

C’est à Chevreul que le mérite revient d’avoir le premier formulé ce principe de la dépendance absolue où est la vie, des lois physico-chimiques de la matière inerte. Il n’est pas impossible qu’il ait puisé dans ses relations avec de Blainville cette netteté de vue sur la substance vivante. Charles Robin, l’élève et le continuateur de ce dernier, ne cessa, dans son enseignement à l’École de médecine, dans toutes ses œuvres, de proclamer les mêmes principes sans avoir rien fait, il est vrai, pour en assurer la démonstration expérimentale. Mais elle n’était pas même nécessaire à ses yeux pour déclarer hautement que tout dans le monde organique proclame cette subordination des phénomènes vitaux aux lois de la matière inerte. Quand nous croyons apercevoir une contradiction, c’est que nous ne connaissons pas suffisamment ces lois. La subordination de la forme elle-même ressort des faits les plus vulgairement connus et qu’il suffisait de savoir interpréter.

La démonstration en est déjà dans la fumure et les engrais par lesquels nous arrivons à modifier d’une manière si prodigieuse l’apparence extérieure d’une plante, au point de la rendre presque méconnaissable. Celle-ci pousse dans un terrain sec, aride, elle est rabougrie, coriace, velue. Cette autre sortie d’une graine toute semblable, mais à l’ombre, sur un sol toujours humide, est grande et comme tuméfiée d’eau, molle et glabre. Et sans plus on y verrait deux espèces distinctes, si tous les termes intermédiaires ne se rencontraient çà et là sur les terrains demi-secs ou demi-abrités, qui montrent qu’on avait simplement affaire à deux individus de la même espèce dont la constitution moléculaire n’est pas absolument identique, en raison des conditions où chacun a vécu.

On a cru longtemps que la plante savait choisir par ses racines les substances de la terre utiles à son entretien et à sa croissance. Ceci n’est point juste. La racine au contact des corps extrêmement complexes qui se font et se défont sans cesse dans le sol autour d’elle, prend tous ceux que peut dissoudre le tissu spongieux terminal de chaque radicelle. La plante n’est ici qu’un réactif comme un autre, elle est passive et se laissera pénétrer par toute substance