Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de lettres, il estime comme Voltaire que l’austérité est une maladie et qu’il vaut mieux avoir la fièvre que de penser tristement. Il lit avec délices les petits poèmes de Voltaire, comme le Mondain et l’Epître sur le plaisir, parce qu’ils respirent la joie. Il veut que l’écrivain mêle aux matières même sérieuses de l’enjouement, de petites digressions et du sel : « Je ne sais rien de pire que l’ennui, et je crois qu’on instruit mal le lecteur lorsqu’on le fait bâiller. » Il est un amant des grâces en littérature et désespère des lettres allemandes qui ne savent pas se familiariser avec ces divinités. Il goûte l’élégance, la finesse, les tours arrondis, les épithètes nouvelles et justes, et les métaphores heureuses, comme celle-ci, par laquelle Voltaire désigne les serviteurs du sérail :


Que le fer a privés des sources de la vie.


Il se récrie à cet endroit : « Belle et noble périphrase ! » C’est qu’il tient aussi pour la noblesse du style ; le vulgaire lui répugne ; le rampant le dégoûte, et il n’admet pas même les mots familiers. Quand il a trouvé dans un des Discours sur l’homme de Voltaire un chien qui meurt en léchant les mains de son maître : « Ce chien n’est-il pas un peu trop bas ? » demande-t-il. La noblesse est une des beautés de la Henriade qu’il admire le plus : « L’auteur s’élève jusqu’au sublime et ne s’abaisse qu’avec grâce et dignité. » Il lui fallait donc dans les lettres, comme dans sa compagnie et sa maison, de l’esprit, des couleurs gaies et un air noble.

Il aimait aussi le bel ordre et l’art de lier toutes les parties d’un sujet pour l’amener et conduire à ses fins. La Henriade lui parait très supérieure à l’Iliade et à l’Odyssée, parce qu’elle est mieux liée. Il est l’homme de la règle, — ce mot revient à tout moment sous sa plume, — rien ne lui plaît que la raison :


…… de la divine poésie
Au poids de la raison je pèse les beautés…


Il se dit et il est en effet le disciple docile de « l’exact et sévère Boileau, » qu’il sait par cœur. S’il fait des énumérations de grands hommes, il y met Boileau, une fois avec Voltaire et Newton, parmi les génies qui survivraient à l’anéantissement de la plus grande partie du monde ; une autre fois avec Colbert et Luxembourg parmi les gloires du règne de Louis XIV. Il est, je crois bien, le seul qui ait ajouté au nom du législateur du Parnasse l’épithète de « divin, » qui est un peu forte. Afin que nul n’ignorât les règles et les lois, il les voudrait voir rédigées, promulguées et appliquées par un