Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chefs-d’œuvre des anciens coroplastes, trouvés par les ouvriers en défonçant de vieilles sépultures, lorsqu’on traça la nouvelle route de Thèbes à Tanagra. Vous souvient-il des vers de Zaleucos ? Ils se gravèrent dans ma mémoire, tant ils se rapportaient à vous.


S’ils ne vous ont pas vue, en modelant l’argile
Où leur rêve divin se fixait sous vos traits,
Comment les vieux potiers de Grèce et de Sicile
Ont-ils dans les tombeaux laissé vos deux portraits ?
S’ils ne vous ont pas vue, à quel corps juvénile
Avaient-ils dérobé ces uniques attraits,
Ce pur enchantement fait de grâce fragile,
Ce geste harmonieux sous les voiles discrets ?
Ils ne vous virent pas : la figurine antique
Naquit entre leurs mains d’un désir prophétique.
Le lit des anciens morts engloutit cet espoir ;
Muette, inanimée en sa blanche tunique,
Votre forme attendit sous la terre hellénique :
L’âme qu’elle implorait, Damaris l’a fait voir.


Vous écoutiez les hommages et les soupirs, vous aviez pour tous le même regard, ce regard rieur de vos yeux d’enfant qui disait : « Je ne vous crois pas, mais je crois à la vie, à ma jeunesse, à ma beauté ! » — Moi, pauvre étudiant d’Egypte, je me sentais tout petit et très heureux. Assis dans les roseaux, le visage dans mes mains, je vous regardais, et je pensais au livre où il est dit : « Un souffle divin crée sans cesse le monde. » Je comprenais le philosophe, à ce moment, et je me répétais qu’un souffle divin créait le monde, là, autour de moi, pour moi, sans cesse. Enfin, j’étais très heureux, et je ne vous aurais point parlé pour tous les trésors de Cléon.

Les pêcheurs avaient amarré leur barque dans le fleuve ; le Sicilien y entra, la détacha, et se laissa dériver au courant. Je le vois encore, debout, une ombre noire qui glissait sur ce rayon mouvant ; il élevait sa lyre dorée, elle brillait comme s’il l’eût retirée du flot lumineux. Il préluda et entonna l’hymne de Sapho, rythmé par le retour cadencé des vagues, mieux que par les cordes de la lyre. La barque gagna la mer, s’éloigna, la voix du chanteur nous arrivait faible, voilée, comme du fond des eaux. Pour entendre encore, vous vous étiez presque couchée au pied du cyprès, la tête sur votre bras arrondi ; un instant, vous avez paru sérieuse,