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français dans la main des Allemands, des Italiens, des Anglais, des Belges, des nihilistes russes ! On s’étudie à déraciner de l’âme du peuple de France ce sentiment national qui fut toujours son honneur et sa force. De sorte que cette campagne anarchiste et socialiste qui se déroule parmi nous est réellement un attentat contre le patriotisme aussi bien que contre toutes les traditions libérales et contre l’autorité publique elle-même. Cet attentat, on ne le dissimule même plus, on le publie dans tous les discours, les agitateurs révolutionnaires s’en font gloire. On se promet plus que jamais de continuer, et c’est ce qui fait que si cette dernière journée du 1er mai a pu se passer matériellement sans trouble, la situation reste ce qu’elle était avec ses incohérences, ses confusions et ses énigmes menaçantes.

Rien, sans doute, de plus frappant que le contraste entre ces violences de sectaires fanatisés organisant, ou rêvant la guerre à la société tout entière, et ces élections municipales qui ont aussi marqué la journée du 1er mai. Ce n’est pas que bien des passions n’aient pu s’agiter autour de ce vaste scrutin ; mais il y a toujours la différence qui peut exister entre un mouvement qui ne se propose que la destruction et une manifestation régulière, légale, à laquelle le pays tout entier s’associe par son vote. En réalité, que sont-elles, ces élections municipales accomplies l’autre jour dans les 36,000 communes de France, — et qu’en faut-il conclure ? On a déjà essayé de les interpréter, de les décomposer de mille façons, sans attendre même de les connaître complètement. On s’est plu à multiplier les statistiques, à classer les élections des grandes villes, des arrondissemens, des cantons, des communes rurales, à supputer les pertes ou profits des conservateurs, des républicains, des opportunistes, des radicaux, à dégager enfin le sens de ce vaste mouvement. On a mis sûrement un peu d’imagination et de fantaisie dans le groupement de tous ces chiffres. Le plus clair est que, même encore aujourd’hui, il est assez difficile de se reconnaître dans un vote ainsi fractionné à l’infini, et qu’il est toujours hasardeux de donner à une multitude de scrutins une signification trop précise, de prétendre surtout en tirer des conclusions politiques. D’abord qu’en sait-on ? Ce qui est vrai dans des villes où tout devient affaire politique ne l’est plus au même degré dans une foule de petites villes et de villages moins directement soumis à des influences générales. Combien est-il en France de communes où les intérêts de localité, les relations personnelles, les rivalités de familles ou d’influences, quelquefois les antagonismes ou les jalousies de quartiers ont un plus grand rôle que la politique ? Le vote n’en vaut peut-être pas mieux ; il tient à des raisons locales décorées tout au plus pour la circonstance d’une couleur politique. Et puis, que voyez-vous dans une multitude de ces scrutins, même dans des villes ? Il y a parmi les élus des républicains et