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modérés cessera : leur colère et les exigences de leur armée les porteront à la rupture violente avec ceux qu’ils nommeront bientôt des traîtres. Alors le sentiment des légitimes griefs qui ont grandi dans le cœur des conservateurs, alors l’urgence d’effacer ces dangereux souvenirs par l’éclat des services signalés presseront les modérés de dépenser à la défense tardive de l’ordre les ressources intactes de leur énergie. Après les enchères de la lâcheté, les enchères du courage peuvent monter aussi vite, aussi haut, et bien des gens miseront, qu’on ne soupçonne guère. Car même fort avant dans la gauche, plus d’un ne se pique de fidélité qu’à la fortune, et ne la laissera pas tourner seule ; et, si la sagesse semble redevenir une force, après avoir vu les hommes se faire plus mauvais qu’ils n’étaient, on les verra se faire meilleurs qu’ils ne sont.

Le moindre bénéfice que puisse produire l’union des conservateurs est donc de paralyser dans le corps politique l’offensive révolutionnaire, d’y réveiller l’esprit de résistance, et d’assurer par les élections futures à la politique de sagesse, au lieu d’une opposition impuissante et muette, une minorité nombreuse, vivante, capable d’empêcher beaucoup de mal.


V

Mais l’avenir ouvre aux conservateurs une perspective autrement vaste, autrement prochaine, et leur offre la récompense aussi immédiate que l’effort.

Quand un parti possède depuis longtemps l’autorité, que sa volonté se nomme la loi, que ses chefs parlent au nom de la France, la majesté et la permanence de la nation qu’il représente semblent passées en lui. C’est comme une témérité de prévoir sa décadence, et une chimère de supposer prochaine cette fin.

Pourtant, l’histoire est la fosse commune des dynasties royales ou parlementaires qui toutes ont paru immortelles un jour et, à la fin du jour, avaient passé. Et l’histoire raconte le secret, toujours le même, de leur vie et de leur mort. Un peuple accomplit sa destinée par une suite de métamorphoses, chacun des gouvernemens qui se succèdent a charge d’une de ces évolutions. Homme, famille ou assemblée, quiconque au juste moment a l’intelligence la plus claire de ce qu’il faut au peuple a droit au pouvoir. Quelles que soient ses erreurs ou son indignité, il le garde tant que l’œuvre n’est pas accomplie : il est nécessaire comme les institutions qu’il prépare. Mais le jour où l’œuvre est achevée, sa collaboration avec