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français du XIIe siècle, Chrestien de Troyes, allait chercher son inspiration, où le poète lauréat de l’Angleterre actuelle trouvait hier encore la sienne.

Féconds dans leurs inventions, formant une caste nombreuse, ces poètes étaient considérés comme des êtres à part et supérieurs. Ces hommes privilégiés, capables de chasser l’ennui des longs soirs, distributeurs de vie aux êtres imaginaires, rappelant les morts de leur repos glacé, étaient les conseillers des rois. Leur nombre, leur influence et leurs ambitions étaient tels, qu’il en résultait des troubles dans l’État. Dans une circonstance mémorable, saint Colomban dut revenir d’Iona pour servir d’arbitre entre un roi irlandais et ses lettrés, qui réclamaient pour leur chef une suite et des honneurs semblables à ceux du prince. Des faits pareils montrent combien étaient profonds chez les Celtes, dès l’origine, le goût et le respect des lettres ; ils expliquent comment, chez les Irlandais, les œuvres littéraires ont été de bonne heure confiées à l’écriture, même lorsqu’elles étaient en simple prose, et c’est ainsi qu’elles nous sont parvenues.

Après un deuxième voyage dans lequel il avait passé la Tamise, César était reparti, emmenant des otages, cette fois pour ne plus revenir. La véritable conquête se fit sous les empereurs, à partir du règne de Claude, et pendant trois siècles et demi, c’est-à-dire une période égale à celle qui nous sépara du règne de François Ier, la Bretagne d’outre-Manche fut occupée et administrée par les Romains. Ils y construisirent tout un réseau de routes dont les restes subsistent encore ; ils en marquèrent les distances par des bornes milliaires dont soixante ont été retrouvées et dont l’une (à Chesterholm) est encore debout ; ils élevèrent contre les gens d’Ecosse deux grandes murailles dont l’une était en pierres de taille, flanquée de tours, protégée de fossés et de remparts en terre et qui allait d’une mer à l’autre. A l’ombre des chênes druidiques, le verrier romain souffla ses légers flacons multicolores ; le mosaïste assit Orphée sur sa panthère, les doigts sur la lyre de Thrace. Des autels s’élevèrent aux divinités de Rome, plus tard au Dieu de Bethléem. Des statues furent dressées pour les empereurs, des monnaies frappées, des poids taillés ou fondus ; le potier tourna ses urnes d’argile, et, en attendant qu’elles prissent place derrière les vitres du British Museum, les légionnaires y mirent la cendre de leurs morts.

Les empereurs visitaient la grande île et s’y trouvaient chez eux. Claude, Vespasien, Titus, Hadrien, Antonin le Pieux, y vinrent gagner le nom de « Britannique » ou jouir des douceurs de la paix. Sévère mourut à York en 211, et Caracalla y commença son règne ;