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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/569

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du champ de carnage, » dit l’annaliste après avoir conté la journée d’Hastings ; et il réserve le nom de Normands pour les soldats d’Harold Hardrada. Même jugement plus loin vers le Nord. Autrefois, lit-on dans une saga, on parlait la même langue en Angleterre et en Norvège, mais il n’en fut plus ainsi après la venue de Guillaume de Normandie, « parce qu’il était Français. »

Quant au duc Guillaume, il conduisait à la française, c’est-à-dire gaîment, son armée de Français[1]. Son état d’esprit n’est ni l’emportement, ni la furie, ni la joie brutale ; c’est la belle humeur. Tous les récits le montrent gardant jusqu’au bout cette belle humeur et ce sang-froid. Comme les personnages de l’épopée celtique, comme les habitans des Gaules dans tous les temps, il est prompt aux reparties (argute loqui). Il fait un faux pas en descendant de bateau, et tout le monde y voit un mauvais augure : « C’est un terrible présage, lit-on dans un vieux poème Scandinave, si tu fais un faux pas en marchant au combat. Cela veut dire que les fées ennemies te suivent à droite et à gauche, souhaitant de te voir blesser. » Cela ne veut rien dire, observe le duc à ses compagnons, sinon que je prends possession du sol. — Au matin de la bataille, il met son casque à rebours : autre mauvais présage. — Nullement, dit-il, c’est signe qu’on me verra


….. de duc en roi tourné ;
Roi serai qui duc ai été.


Dans son entrain il provoque Harold en combat singulier, comme faisaient les Gaulois pour leurs adversaires, d’après Diodore de Sicile ; comme, plus tard, fera François Ier pour Charles-Quint. Il devait mourir dans une guerre entreprise pour se venger d’une épigramme du roi de France, et pour justifier sa riposte.

Le soir du 14 octobre 1066 vit se décider la fortune de l’Angleterre. Le sort de la bataille était indécis ; une idée ingénieuse de Guillaume détermina la victoire. Il fit tirer en l’air par ses archers ; les flèches, en retombant dans la palissade des Saxons, y causèrent grand ravage ; l’une d’elles creva l’œil d’Harold, et fit de cette journée la plus importante victoire qui ait jamais été gagnée par des Français.

Le Bâtard avait fait vœu d’élever sur le lieu du combat une abbaye à saint Martin de Tours. Il tint parole, mais l’édifice ne prit point dans le langage usuel le nom du saint ; il reçut et a

  1. « Tous jusqu’aux petits marmitons… rivalisaient d’élan, de bravoure et de cette gaîté gauloise en présence du danger, qui forme un des beaux traits du caractère national. » (Voir l’Incendie du paquebot « la France, » par le baron de Hubner, 1887.)