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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/578

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mona, était masculin en anglo-saxon ; soleil, sunne, était féminin ; femme, wif, était neutre. Des deux parts, on renonça aux genres arbitraires ; toutes les désignations d’êtres ayant un sexe prirent le genre correspondant au sexe ; les autres noms furent neutres.

L’instrument de la littérature étant ainsi constitué, la littérature à son tour peut naître ; et, à l’exemple de la langue, elle sera le résultat d’une étroite et très originale combinaison du génie des races du nord et des races du midi. Après les efforts infructueux d’Alfred et plus tard de Dunstan pour instruire la nation, une nouvelle tentative est faite maintenant, et celle-là devait réussir. Les écoles s’élèvent de toutes parts et on y enseigne les lettres latines. Oxford se remplit d’élèves ; dès le moyen âge, on envoie les jeunes gens à l’Université non-seulement pour faire d’eux des clercs, mais aussi pour en faire des gentlemen. Il n’est plus besoin, au XIVe siècle, de passer la mer et d’aller étudier à Paris ; Oxford gagne une renommée qui s’étend bien loin au-delà des limites de l’île. C’est là un grand changement parmi ces indigènes que les Français du temps d’Hastings avaient trouvés sauvages et ignorans, agrestes et pêne illiteratos, d’après le propre témoignage de l’un d’eux, l’Anglais Orderic Vital.

Grâce à cette réforme, les regards maintenant se tournent d’un mouvement unanime vers le Midi, Rome, la Grèce et Troie ; le culte des anciens, prélude de la Renaissance, s’établit, dès le XIVe siècle, en Grande-Bretagne ; on voit un Richard de Bury, évêque de Durham, précepteur d’Edouard III, collectionner les livres avec la passion d’un Médicis. Dans un traité de ce temps et qui lui est attribué, l’éloge des lettres est célébré avec une sincérité d’âme qui fait penser aux paroles de Cicéron dans sa défense du poète Archias : — « Grâce aux livres, les morts me réapparaissent comme s’ils étaient vivans… Tout se corrompt et tombe en poudre par la force de temps. Saturne ne se lasse pas de dévorer ses enfans, et la gloire du monde serait ensevelie dans l’oubli si Dieu, comme remède, n’avait accordé aux hommes mortels le bienfait des livres… Les livres, voilà les maîtres qui nous instruisent sans verges ni férules, sans réprimande et sans colère. Allez les rejoindre, vous ne les trouverez point endormis ; interrogez-les, ils ne se déroberont pas ; si vous vous trompez, pas de gronderies de leur part ; si vous êtes ignorans, pas de rires moqueurs. »

On se familiarise avec les dieux de l’Olympe et avec le culte de la pure beauté… Edouard III et ses seigneurs ornent leurs palais de tapisseries à sujets mythologiques ; dans les romans, la conquête de la beauté passionne maintenant davantage que la conquête des empires. Dans l’art de la statuaire, un grand changement se