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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/615

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Condamner à un régime de malades et d’étiolés ! Ah ! si les jeunes peintres comprenaient mieux leurs intérêts, comme ils liraient moins les journaux qui les encensent et qui les perdent, comme ils prêteraient moins l’oreille aux bavardages littéraires et aux flatteries mondaines, comme ils vivraient plus en eux-mêmes et pour eux-mêmes, ne prenant pour conseillers, après leurs professeurs qu’ils devraient mieux respecter, que les vieux maîtres d’Italie, des Pays-Bas, de France, et, avant tout et toujours, la nature vivante, saine, puissante, la nature généreuse et inépuisable qui, seule, rajeunit et renouvelle les écoles, quand on l’aime avec sincérité et quand on l’observe avec intelligence !


I

Le Salon des Champs-Elysées, il faut le dire, bien que les chefs-d’œuvre y soient rares, présente un aspect moins inquiétant que celui du Champ de Mars. On y sent, en général, même chez les humbles, moins de dispositions à se laisser entraîner, sans réflexion, dans le tourbillon des conventions à la mode et à obéir, sans observation, à un mot d’ordre dont le sens échappe. Chacun tient à y conserver ou sa personnalité ou tout au moins son libre arbitre, et la variété des manifestations qu’on y observe dispose, en plus d’une salle, à quelques indulgences pour leur médiocrité. Les grandes toiles, décoratives ou historiques, qui ont exigé, de la part de leurs auteurs, une réflexion sérieuse et un effort soutenu, y sont, d’ailleurs, assez nombreuses, tandis qu’au Champ de Mars on les compte trop vite ; or, dans l’état actuel des choses, il faut savoir un gré infini aux jeunes artistes qui, malgré les dédains, les moqueries, les déboires, tiennent encore leur âme attachée à de hautes ambitions. Si nous n’avons pas, cette année, à saluer une manifestation aussi brillante que celle de M. Rochegrosse l’an dernier, nous avons cependant à étudier un certain nombre d’ouvrages importans dus à des artistes expérimentés et à constater plusieurs tentatives estimables de la part d’artistes en formation.

Il est fâcheux que les organisateurs des Champs-Elysées n’aient pas, comme ceux du Champ de Mars, pris résolument le parti de disposer décorativement les peintures décoratives. Une toile de plafond ne peut être bien vue et bien jugée que si elle est suspendue en plafond. Ce qui fera son mérite lorsqu’elle sera en place, la hardiesse des raccourcis, la justesse de la perspective, la vivacité de la distribution lumineuse est peut-être ce qui déconcertera le plus le spectateur lorsqu’il la verra tendue verticalement devant lui en tableau et qu’il la jugera comme un tableau,