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doutes » sur l’être simple que sollicitait Frédéric. Il avoue enfin que ce fameux être donne lieu à bien des difficultés : comment se figurer qu’un être composé ne soit pas divisible à l’infini, quand cette divisibilité est démontrée par la géométrie ? Sans doute, il est impossible qu’il n’y ait pas des premiers principes, dont les choses sont formées ; sans cela la forme des choses et les générations ne pourraient exister. Il y a donc des corps indivisés, qui resteront tels tant que durera la nature des choses, mais qui ne sont pas pour cela indivisibles, ni simples, ni sans étendue, car alors ils ne seraient pas des corps, et la matière ne serait pas composée de matière, ce qui serait un peu étrange. Tout cela est obscur, irrémédiablement obscur : « La métaphysique, à mon gré, contient deux choses : la première, celle que tous les hommes de bon sens savent ; la seconde, celle qu’ils ne sauront jamais. » Au reste, Voltaire ne refuse pas encore de se laisser convaincre ; comme il n’a pas reçu toute la Métaphysique, il veut bien espérer que la dernière partie lui donnera des ailes pour s’élever jusqu’à l’être simple, mais sa misérable pesanteur le rabaisse toujours vers l’être étendu : « Quand est-ce que j’aurai des ailes pour aller rendre mes respects à l’être le moins simple et le plus universel qu’il y ait au monde, à votre altesse royale ? »

La dernière partie est arrivée enfin. Frédéric recommande une dernière fois à Voltaire l’être simple ; il lui explique tout le travail prodigieux par lequel Wolf est parvenu à en trouver la définition ; il l’adjure d’examiner et de réfléchir : « Un petit moment de réflexion vous fera trouver ces propositions si vraies que vous ne pourrez leur refuser votre approbation. Je ne vous demande qu’un coup d’œil, monsieur ; il suffira pour vous élever non-seulement à l’être simple, mais au plus haut degré de connaissance auquel un homme puisse parvenir. » Mais le coup d’œil ne suffit pas à Voltaire. Il remercie le prince de lui avoir envoyé les derniers cahiers, car c’est là un de ces bienfaits que les autres rois, ces pauvres hommes qui ne sont que rois, sont incapables de répandre, mais il a beau faire, il n’entend goutte à l’être simple. Pour croire à cet être indivisible, il faut admettre avec Wolf, d’abord que l’espace n’existe pas par lui-même et qu’il n’est que le vide entre les parties des êtres, et ensuite que l’étendue n’existe point par elle-même et qu’elle n’est que la continuité des êtres. Ah ! si l’on accepte ces définitions, la proposition de Wolf est irréfutable. Comme l’être simple n’a point de pores, il ne contient pas d’espace ; comme il n’est pas continu, il n’a pas d’étendue, mais la pauvre âme de Voltaire ne peut se résoudre à tant de condescendance ! Il lui semble être transporté dans un climat dont il ne peut respirer l’air,