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compliqués ont un sentiment plus juste de ce qui lait la bonne peinture et de la possibilité qu’il y a, pour un vaillant ouvrier, de dire les choses les plus fines en un ferme langage. Quelques-uns, il est vrai, sont des dilettanti un peu étroits, se contentant d’imiter les procédés des maîtres anciens : tels sont M. Brunin, d’Anvers, dans son intérieur d’armurier, la Lame recommandée, entassement brillant d’armures, d’orfèvreries, d’étoffes, et M. Grochepierre, adorateur attardé de Denner, dans la vieille femme de son Dévidoir, peinture un peu sèche, mais habile, et leur soumission extrême à des traditions vénérables imprime fatalement à leur peinture impersonnelle des airs de vieillesse prématurée. Il en est d’autres pour lesquels l’étude des maîtres septentrionaux, modèles incomparables dans cet ordre de recherche, n’a été, au contraire, qu’un utile aiguillon. Il est curieux de trouver, cette année, parmi les hollandisans, un artiste plus connu par ses recherches dans l’ordre plastique que dans l’ordre coloré, M. Gérôme. Mais M. Gérôme a une dextérité d’esprit et de mains qui lui ferait gagner toutes les gageures, ainsi que nous le verrons, au jardin, dans la section des sculpteurs : « Vous voulez des éclairages étranges, mes amis, du clair-obscur et de l’obscur-clair ! Je vais vous montrer comment cela se fait ! » Et, dans le coin écarté d’une longue, longue salle d’auberge douteuse, aux grandes murailles blanches et nues, dans un tout petit coin, à la maigre lueur d’une chandelle, il a fait asseoir trois hommes noirs, enveloppés dans de grands manteaux, les têtes penchées les unes vers les autres, se chuchotant à l’oreille. Le titre est : Ils conspirent. On sait avec quelle ingéniosité M. Gérôme compose ses petites toiles, avec quelle précision il dessine ses figures ; cette fois, il a joint, à ses qualités de dessinateur et de metteur en scène, une souplesse et une force de peinture dont plusieurs seront surpris. Dans le même ordre de recherches, on regarde encore avec plaisir le Jeu de quilles de M. Marec et les Pauvres gens de M. Dantan.


III

C’est toujours dans le portrait et dans le paysage, les deux genres qui exigent le moindre mouvement d’imagination et dans lesquels un bon œil et une bonne main, dirigés par l’esprit d’observation, suffisent à créer des chefs-d’œuvre, que le Salon de 1892, comme les précédens, fournit le plus grand nombre de travaux déjà intéressans. Chez les portraitistes et chez les paysagistes, même indépendance, d’ailleurs, que chez leurs confrères de l’histoire, même variété dans les allures et dans les procédés, en sorte que nous trouvons ici, à la fois, des sectateurs de David