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de complaisance ne laisse pas que d’agacer à la longue, et, fût-on de son avis, on est tenté de lui crier : ne nous condamnez pas au silence, confiez-nous le soin de votre panégyrique ! C’est une impression assez analogue à celle qu’apportent certains causeurs très brillans qui changent la conversation en monologue, font les demandes et les réponses, prévoient les objections à leurs thèses, se réfutent, se contredisent, s’approuvent, tiennent à leur service et sur toutes les questions esprit, éloquence, érudition. D’abord on est surpris, charmé ; ce sont des livres précieux qui dispensent de lire et de parler ; mais à l’éblouissement succède un peu d’impatience, et la sensation désagréable que ce splendide bavard n’a cure de ce que pense son entourage. Il faut être un Chênedollé auprès de Rivarol, ou Brifaut pour répondre à Delille qui s’étonnait de l’entendre dire un mot spirituel : — Ingrat, moi qui vous écoute depuis deux ans !

Aussi bien, Mlle Félicité apparaît enfant prodige dans toute la force du terme : comédienne et tragédienne à sept ans, elle découvre au même moment sa véritable vocation, cette vocation que trop souvent le hasard nous révèle, et qui reste enfouie, en l’absence de cette dame d’honneur de la fortune, l’occasion, faute de volonté, la qualité suprême qui corrige la destinée. Non-seulement elle sera femme auteur, composant des pièces avant de savoir l’orthographe, mais elle sera surtout femme enseignante et prédicante, « le plus gracieux et le plus galant des pédagogues, » dit Sainte-Beuve. Avant d’entreprendre des éducations princières, elle avait plastronné avec de jeunes paysans qui venaient jouer et couper les joncs d’un étang adossé au château de Saint-Aubin. Profiter des heures où sa gouvernante était occupée à sa correspondance, passer par la fenêtre, en attachant une corde au moyen de laquelle elle se laissait glisser sur la terrasse, lui semblait un jeu délicieux pour exercer ses bienheureuses fonctions de maîtresse d’école. Appuyée au mur de la terrasse, elle enseignait gravement le peu qu’elle savait : le catéchisme, des vers de tragédies de Mlle Barbier, quelques principes de musique. Ses petits disciples, rangés en bas, au milieu des roseaux, le nez en l’air, écoutaient avec la plus sérieuse attention, car la manne des récompenses tombait ensuite, sous forme de fruits, gâteaux et autres bagatelles. Après la leçon, elle faisait le tour par une des cours et rentrait au salon sans qu’on y prît garde. Cela dura assez longtemps, mais un jour, Mlle de Mars la surprit au milieu de son école, et se moqua tellement de la manière dont les petits Bourguignons déclamaient les vers, que Félicité renonça d’elle-même à sa classe.

Venue à Paris, vers l’âge de treize ans, avec sa mère, après la