Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/654

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disait en soupirant : quel dommage qu’elle n’ait que treize ans ! Et Félicité regrette de n’avoir pas ces quelques années de plus, car elle l’admirait tant, qu’elle eût été charmée de l’épouser : et peut-être cette union aurait-elle fait pendant à celle d’Aurore de Saxe avec Dupin de Francueil, ce sexagénaire délicieux que toutes ses amies lui enviaient. Victime désignée de la fatalité conjugale, La Popelinière choisit, sur la réputation de ses talens, Mlle de Mondiau, fille d’un capitoul de Toulouse ; mariage qui le conduisit droit au tombeau au bout de dix-huit mois. Les détracteurs du XVIIIe siècle imaginent de lui accorder le monopole de la galanterie voluptueuse et du libertinage, mais, disent-ils, il n’a pas aimé : le XVIIe siècle, le XIXe siècle ont connu la passion, le XVIIIe l’a ignorée. C’est une hérésie historique : comme son prédécesseur et comme son successeur, ce siècle a eu ses parfaits exemples de tendresse conjugale et extra-conjugale, aussi nombreux, aussi décisifs[1]. En ce temps aussi, on mourait d’amour, on était fidèle ; sous Louis XIII et Louis XIV on ne se montre ni moins galant, ni moins libertin, mais les faiseurs de thèses se sont acharnés contre l’époque qui précéda la révolution, tandis que l’amour, au XVIIe siècle, bénéficie en quelque sorte du génie plus sérieux de ses littérateurs, des splendeurs du règne et du prestige des choses anciennes : à l’abri de ces grandeurs, il a pris, dans nos imaginations, une allure plus magnifique. Et n’aperçoit-on pas, quand on y regarde avec attention, que toutes les sociétés civilisées renferment une quantité presque identique de vices et de vertus, puisque l’animal humain est partout à peu près pareil ; mais le coup d’œil diffère selon que défauts ou qualités se détachent plus ou moins crûment, dissimulés ou mis en relief par les circonstances. Le grand imprésario d’en haut et ses collaborateurs ne changent guère leurs acteurs, mais quelquefois ils font du comparse un premier rôle, du goujat un roi, et s’amusent à mettre sur une courtisane l’habit des reines ; ou bien ils laissent dans l’ombre les héros, les saints, lancent en scène les lâches, les débauchés ; et, du choc des prétentions, des intérêts, du conflit de la fatalité et du libre arbitre, surgit cette œuvre incohérente qui semble tantôt drame et tantôt comédie, obscurcie encore par nos préjugés et l’infirmité de notre observation.

  1. Lettres du Mlle de Condé à M. de La Gervaisais, de Mlle Aïssé au chevalier d’Aydie, de Mlle de Lespinasse au comte de Guibert, de Mme de La Popelinière à Richelieu. — Les illustres Françaises. — Correspondance de la comtesse de Sabran et du chevalier de Boufflers. — De Lescure, les Femmes philosophes. — Souvenirs de la maréchale princesse de Beauvau. — Vies de la princesse de Poix, de Mme de La Fayette, de Mme de Montagu, de Mme la duchesse d’Ayen, etc.