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Cependant commentaires et brocards allaient leur train, et la moindre défaillance était relevée par les parangons de l’étiquette. La présentation donnait aux femmes le droit de monter dans les carrosses du roi et de la reine, de souper dans les petits appartemens. Si la présentée est duchesse, ou si elle a le tabouret, l’étiquette la dispense du baisement du bas de robe, alors elle est saluée par la reine et les princesses : on appelait ainsi l’honneur de présenter sa joue droite à la reine, qui sur cette joue appliquait légèrement la sienne. Le roi, ses frères, accordaient cet honneur à toutes les présentées, titrées, duchesses ou non. La veille et le lendemain de la présentation, la présentée allait faire des visites aux honneurs : dames d’honneur, dames d’atour de la reine, de Mesdames et des princesses ses belles-sœurs.

Dans une conjoncture aussi grave, Mme de Puisieux impose à sa nièce une véritable persécution ; elle la fait coiffer trois fois, et choisit enfin la coiffure qui sied le moins à son genre de beauté ; beaucoup de poudre, beaucoup de rouge, artifices que la novice déteste ; et, pour l’accoutumer, on exige qu’elle ait en dînant son grand corps, qui la laisse les épaules découvertes, coupe ses bras, l’empêche de manger. Puis c’est, entre Mme de Puisieux et sa fille la maréchale d’Etrée, un débat prolongé au sujet de la collerette qu’on lui ôte et qu’on lui remet quatre fois ; la maréchale finit par l’emporter grâce au concours de ses caméristes. Naturellement, tout le dîner se passa en discussions sur la toilette ; enfin, après avoir mis le panier, le bas de robe, arrive la répétition des révérences apprises par Gardel : nouvelles critiques de Mme de Puisieux, qui n’admet pas qu’on repousse doucement en arrière, avec le pied, le bas de robe en se retirant à reculons : car cela est théâtral ; tant pis si l’on s’entortille dans cette queue sempiternelle. La pauvre comtesse profite-t-elle d’un instant de répit pour ôter un peu de son rouge, le vigilant chaperon s’en aperçoit, tire de sa poche une boîte à mouches et lui remet du rouge beaucoup plus foncé. La présentation se passa fort bien, Louis XV parla longtemps à Mme de Puisieux et lui adressa des complimens sur la nièce, qui, de son côté, admira beaucoup son air majestueux et ses yeux bleus de roi.


III

Quelques années s’écoulent dans un délicieux tourbillon de plaisirs parisiens et provinciaux, de voyages et d’études : admirée, vantée, recherchée, Mme de Genlis commence à jouer le personnage d’une femme à talens ; son salon est un peu celui où elle va, elle le remplit de sa conversation, et, quand elle ne parle pas, la harpe,