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6,000[1]. Le duc d’Orléans, qui l’avait prise pour confidente de sa passion pour Mme de Montesson, appréciait son esprit et son entrain, la tantâtre voyait en elle un précieux auxiliaire qui, dans l’intérêt de la famille, dissimulait son antipathie, et c’était le marquis de Puisieux, ami et conseil du duc de Penthièvre, qui avait décidé ce prince à conclure le mariage de la princesse sa fille, malgré la réputation galante du duc de Chartres. La vicomtesse de Custines, l’amie intime, l’inséparable de Mme de Genlis pendant six ans et sa conscience vivante, l’avait une première fois détournée d’accepter cette place, en lui montrant fortement les écueils qui attendaient une jeune femme dans ce dangereux séjour. La mort lui ayant enlevé ce précieux mentor, elle se laissa tenter aisément par la curiosité, par les avantages d’une telle situation : protection des princes, régimens dont ils disposaient et qu’on donnait toujours aux enfans ou aux gendres des dames. Quitter l’hôtel de Mme de Puisieux et venir habiter ce Palais-Royal où se trouvait réunie la société la plus brillante de Paris, ne l’effraya donc point et peut-être l’enchanta. Elle-même allait pendant plus de vingt ans y remplir un des premiers rôles, avec trop d’éclat sans doute, et elle en a laissé de fins croquis qu’il faut un peu rectifier, car la rancune et la vanité jettent un brouillard entre elle et certains de

  1. Les grandes places de la maison du Palais-Royal, exigeant la présentation à la cour, et donnant le droit de manger avec les princesses, étaient : le premier gentilhomme de la chambre, le premier écuyer, le premier maître d’hôtel, le capitaine des gardes, le lieutenant des gardes, les chambellans, une dame d’honneur, quatre dames de compagnie, les gouverneurs et les gouvernantes des enfans. Les écuyers ordinaires, bien que gentilshommes, n’étaient pas présentés à la cour. Voici les autres places : aumônier, gouverneur des pages, secrétaires des commandemens, lecteurs, bibliothécaire, premier médecin, premier chirurgien, deux maîtres d’hôtel ordinaires, dont les fonctions consistaient à surveiller les dépenses de bouche, et à venir, l’épée au côté, suivis du contrôleur, annoncer au prince qu’il était servi. Monsigny occupa pendant vingt-cinq ans l’une de ces places. Tout ce monde avait de droit des logemens au palais et on en accordait encore à beaucoup d’autres personnes ; par exemple, à d’anciennes dames ou gouvernantes qui trouvaient là une sorte de retraite : ainsi la marquise de Barbentane, la marquise de Polignac, la comtesse de Rochambault, la comtesse de Montauban. Celle-ci avait parfois de plaisantes saillies. Un jour, un des familiers du Palais-Royal, retirant une poignée de louis qu’il venait de gagner, en laissa tomber les trois quarts dans le dos de Mme de Montauban. — « Eh quoi, monsieur, dit-elle, me prenez-vous pour une Danaé ? » Elle se leva pour faire retomber cette pluie d’or, et comme le joueur prétendit en riant qu’elle faisait le gros dos afin de retenir une partie du gain, elle se remit au pharaon, remarquant avec à-propos que l’on donnait vingt-quatre heures pour payer les dettes de jeu, et que ceci n’en était point une. En effet, elle retrouva quelques louis en se déshabillant et les renvoya. — J’ai parlé ailleurs de la marquise de Polignac et d’autres personnes de la société du Palais-Royal : la Société française avant et après 1789, in-18 ; Calmann Lévy. Le théâtre des princes de Clermont et d’Orléans, Revue du 15 septembre 1891.