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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/691

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qu’ayant perdu l’homme, il a fallu changer de procédés, de système de conduite, et que tout compté, tout rabattu, on s’en est très bien trouvé.

Il part de là pour louer tout ce qui s’est fait dans ces deux dernières années. Il loue non sans raison l’empereur et ses ministres d’avoir supprimé les lois d’exception contre les socialistes ; il les loue avec plus de raison encore des adoucissemens qu’ils ont apportés au sort des Polonais du duché de Posen et à la triste condition des Alsaciens-Lorrains. Il les loue d’avoir conclu des conventions commerciales, et il faut lui accorder qu’en cette occasion l’Allemagne a su mettre les apparences de son côté et faire son profit de nos maladresses. Quand il en vient au projet de loi sur l’école confessionnelle, il éprouve, à la vérité, quelque embarras. Le projet devait être excellent puisqu’on l’a présenté, il devait être mauvais puisqu’on l’a retiré. L’anonyme se tire d’affaire en déclarant que sans doute le projet était bon, mais que ceux qui l’ont retiré ont fait preuve d’un patriotisme éclairé en sacrifiant à la paix publique une mesure sage, mais peut-être inopportune. C’est ainsi que ses critiques mêmes sont des éloges. Le gouvernement royal et impérial peut-il lui en vouloir ? Il ne le bat qu’avec des roses. C’est surtout à la politique extérieure du nouveau régime que se sont attaqués les mécontens, et tout d’abord ils ne peuvent pardonner au général de Caprivi le traité qu’il a conclu avec l’Angleterre le 1er juillet 1890, les concessions territoriales qu’il lui a faites dans l’Afrique orientale. Ils l’accusent d’avoir sacrifié les intérêts allemands sans nécessité et sans utilité, de s’être laissé prendre aux amorces de la diplomatie britannique, d’avoir fait un marché de dupe en échangeant Zanzibar contre l’île d’Helgoland. Si soucieux que fût son illustre prédécesseur d’entretenir de bons rapports avec les Anglais, il ne se croyait pas tenu d’acheter leur amitié par des prévenances. Il n’a jamais donné rien pour rien, et il avait pour principe qu’il est bon de conserver des gages par devers soi pour avoir quelque chose à offrir quand on a quelque chose à demander. Qui a mieux entendu que lui l’art de conclure des marchés ?

On adresse à M. de Caprivi un autre reproche plus grave encore ; on se plaint qu’il ait rompu avec les traditions de la politique bismarckienne dans sa façon de comprendre la triple alliance. Le prince de Bismarck, qui l’a créée, avait inventé aussi la manière de s’en servir ; c’était une machine savante dont il se réservait le maniement et la conduite. Il avait consenti à garantir la sécurité de l’Autriche dans la péninsule du Balkan, en évitant avec soin de prendre des engagemens trop précis. Il pensait que les affaires d’Orient n’intéressent l’Allemagne que dans une mesure fort restreinte. Il lui en coûtait peu de maintenir un certain équilibre entre les intérêts russes et autrichiens ; il se promettait de jouer le rôle d’arbitre en prenant parti pour le