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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/776

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vivement senti par beaucoup d’hommes et surtout par beaucoup de femmes, a reçu satisfaction ; les autres parens, qui n’éprouvent pas ce besoin, mettent leurs enfans au lycée ; en 1865, dans les petits séminaires et autres établissemens ecclésiastiques, il y a 54,000 élèves, dans les lycées et collèges de l’État, 64,000[1], et les deux clientèles se balancent.

Mais cela même est un danger. Car, naturellement, l’État enseignant constate avec regret que sa clientèle diminue ; il ne voit pas de bon œil le rival qui lui prend tant d’élèves. Naturellement aussi, en cas de lutte électorale, l’Église favorise le parti qui la favorise le plus, ce qui l’expose à des rancunes, et, en cas de défaite politique, à des hostilités. Or, il y a des chances pour qu’en ce cas les gouvernans hostiles s’appliquent à la frapper à l’endroit sensible, à l’endroit de l’enseignement, qu’ils répugnent à la liberté et même à la tolérance, qu’ils prennent en main la machine scolaire de Napoléon pour la restaurer de leur mieux, pour l’agrandir, pour lui faire rendre, à leur profit et contre l’Église, tout ce qu’elle comporte d’effet, pour en user de toute leur force d’après les principes et les intentions de la Convention et du Directoire. Ainsi, la transaction acceptée par l’Église et par l’État n’est qu’une trêve provisoire ; demain, elle sera rompue : le fatal préjugé français qui érige l’État en éducateur de la nation est toujours là ; après une détente partielle et courte, il va retrouver son ascendant et recommencer ses ravages. — Et d’autre part, même sous ce régime, plus libéral que le précédent, la liberté effective est très restreinte ; au lieu d’un monopole, il y en a deux. Entre les deux genres d’établissemens, l’un, laïque, qui ressemble à une caserne, l’autre, ecclésiastique, qui ressemble à un séminaire ou à un couvent, les parens ont le choix, rien de plus. Ordinairement, lorsqu’ils préfèrent l’un, ce n’est point parce qu’ils le jugent bon, mais parce que, dans leur opinion, l’autre est pire, et il n’y en a point un troisième à leur portée, construit sur un type différent, ayant son esprit indépendant et particulier, capable de se conformer à leurs goûts et de s’accommoder à leurs besoins.

Dans les premières années du siècle, il y en avait, et par milliers, écoles secondaires de toute espèce et de tout degré, partout naissantes ou renaissantes, spontanées, locales, suscitées par l’entente des parens et des maîtres, par suite, subordonnées à cette entente, diverses, flexibles, soumises à la loi de l’offre et de la

  1. Boissier, ibid., p. 711.