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de douanes, de péages et de barrières, politiques ou économiques, vouée par sa constitution au morcellement et, par l’absence de moyens de transport, à l’isolement, était, sous le rapport monétaire, bien plus cosmopolite que l’Europe actuelle. Il y avait une beaucoup plus grande masse d’États qu’aujourd’hui à battre monnaie ; mais toutes ces monnaies circulaient sans obstacle dans tous ces États. Nul n’avait le pouvoir, ni peut-être même l’idée, de proscrire celles de ses voisins. Cette situation, qu’aucune convention n’avait créée, résultait d’une sorte d’accord tacite. Elle se prolongea jusqu’à Louis XIV qui, le premier, décria, avec un succès relatif, certaines des pièces qui avaient vu le jour au-delà de nos frontières. Encore lui fallut-il, pour réussir, les accaparer et les refondre lui-même à son effigie.

Sous le règne de son prédécesseur, en 1636, un édit royal énumérait, en établissant le rapport officiel qu’il s’efforçait de leur attribuer avec la livre tournois, jusqu’à trente-huit monnaies étrangères ayant cours dans le royaume de droit ou de fait, et il y en avait bien d’autres. A côté de la pistole d’Espagne circulaient à cette époque, en France, d’autres pistoles frappées par les princes d’Italie, à Parme, à Milan, Florence, Gênes, Venise et Lucques, celles de Liège, celles du duc de Savoie et du duc de Lorraine. On se servait aussi des doubles ducats de Portugal, des albertus de Flandre, des riddes des Provinces-Unies. L’Angleterre nous envoyait ses angelots, ses jacobus et ses nobles à la rose. Il n’était pas jusqu’aux ducats de Bohême, de Hongrie ou de Pologne qui n’entrassent dans un paiement de quelque importance.

Aux siècles antérieurs, la diversité était bien plus grande, et elle augmente à mesure que l’on remonte dans le moyen âge, où les fabricans de monnaie étaient légion. Le plus singulier, c’est la grande distance d’où ces pièces de tout calibre et de toute valeur étaient venues, d’étape en étape, prendre place sur notre marché. A côté des monnaies royales et seigneuriales se voyaient, aux XIIIe et XIVe siècles, sur le territoire actuel de notre patrie, les morabotins des Arabes, les oboles, besans et constations de l’empire d’Orient, les augustes de Frédéric d’Allemagne, les ducats de Sicile et le florin de Florence, supérieur à toutes les autres monnaies d’or, imité et contrefait dans toute l’Europe. A Bordeaux, pour payer 17 livres tournois, on donne 3 écus d’or, 3 meariques neuves, 4 florins du Saint-Empire, 3 florins de Castille, 3 « au Chat, » etc. (1471). Un petit bourgeois de Brives fait l’inventaire de ses richesses métalliques (1512) qui comprennent des nobles « à l’écu, » à « la nef, » au « petit E, » des aigles d’Allemagne, des philippes, des francs à cheval et à pied, des réaux d’Espagne,