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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/817

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par milliers, par dizaines de milliers, que chaque année l’on vendait et l’on achetait, en France, des parcelles de rente dont le prix n’était souvent que de quelques sous.

Au début, la rente foncière représentait assez exactement le revenu du sol, ou le loyer de la maison, sur qui elle reposait. Elle ne pouvait valoir plus, puisque personne ne l’aurait achetée, ni valoir moins, puisque personne ne l’aurait constituée à perte. Mais par le seul mouvement de la fortune publique, par la hausse des terres, par la dépréciation de la livre-monnaie, la rente en vint au XVIe siècle, et surtout au XVIIe, à ne plus représenter que le quart, le dixième, le cinquantième parfois du revenu.

Quand aucune clause de réméré n’avait été introduite dans le pacte primitif, — et c’était le cas des 99 centièmes des rentes créées, — la plus-value profitait exclusivement aux détenteurs du fonds, qui n’étaient tenus à autre chose qu’au paiement d’une rente annuelle, devenue, avec le temps, dérisoire. Dans les cas où le droit de rachat avait été stipulé, ce droit de rachat devint, à son tour, une valeur mobilière. Le propriétaire, qui n’en profitait pas lui-même, le négociait à un tiers, qui le transférait à un autre ; ce titre se cotant plus cher à mesure que le bénéfice à réaliser par le rachat devenait plus important. Ainsi le droit de rachat d’une rente de 10 livres, créée en 1300 sur un immeuble estimé alors 100 livres et qui, en 1580, se serait vendu peut-être 5,000 livres, pouvait valoir 4,900 livres ; c’est-à-dire toute la différence de la valeur nouvelle de la terre avec l’ancienne ; sans même tenir compte de ce fait que 100 livres de 1300 représentaient 1,600 francs intrinsèques, tandis que 100 livres de 1580 ne représentaient que 257 francs.

La richesse mobilière de ce temps consistait aussi en rentes de grains, ou autres produits agricoles, payables en nature, en sommes dues par contrats, ou « rentes constituées, » en prêts sur billets, en rentes viagères émises par les villes ou les hospices, et, à partir du XVIe siècle, en titres de Monts, ou banques locales. Les rentes en blé étaient les fonds publics des XIIIe et XIVe siècles ; elles ont un cours dépendant des prix du blé, très variable par conséquent, donnant lieu à des ruines, à des fortunes subites. Chaque année, un nombre énorme de rentes de blé sont vendues, non pas selon le cours moyen des blés pendant les années précédentes, mais sur la base du cours des blés au jour de la vente ; et Dieu sait à quelles oscillations ce cours était soumis ! Comme les rentes foncières, les rentes de blé se capitalisent « au denier 10 ; » si tel seigneur vend 60 sous tournois une rente de quatre boisseaux de froment, c’est que, cette année-là, on estime à 6 sous la valeur des quatre boisseaux.