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consignations au Trésor pour la réception et la gestion des fonds. Dès lors, les caisses d’épargne étaient mises en tutelle ; elles n’avaient plus la libre disposition des dépôts de leur clientèle ; elles cessaient d’être des sociétés libres ; elles sont devenues, en fait, des établissemens publics.

Est-il désirable, en théorie, abstraction faite de toute considération des conséquences pratiques qu’a eues cette transformation, que les choses restent en l’état ? Non, cela n’est pas désirable, parce que le changement qui s’est opéré a été une nouvelle manifestation de cette déplorable tendance qui, dans toutes les branches de l’activité sociale, tend à substituer l’intervention de l’État au libre jeu des forces individuelles. Tout homme sensé doit reconnaître aujourd’hui que le socialisme d’État, cette plaie de notre civilisation européenne, est le mal qu’il faut surveiller et combattre partout où il menace de développer son virus malfaisant. Au nom de la revendication du droit à la libre expansion des forces individuelles, un mouvement qui tend à la transformation d’institutions privées et libres en rouages du mécanisme de l’État est condamnable et doit être enrayé par tous les moyens honnêtes et rationnels.

Mais laissons la théorie pour l’application, le raisonnement abstrait pour l’étude des faits. Par quels phénomènes économiques s’est traduite l’action de la législation de 1835 et de 1837 ?

Nous trouvons dans un rapport fait par M. de Foville, au nom du jury international de l’Exposition de 1889, cette phrase caractéristique : « Du jour où l’État s’est déclaré l’unique banquier des caisses d’épargne, la réglementation des dépôts individuels est devenue une question, non plus d’intérêt public, mais d’intérêt gouvernemental. »

L’accusation est grave, elle n’est qu’à demi justifiée, mais c’est déjà trop qu’elle le soit à demi. Il serait vraiment inexact d’affirmer que les divers gouvernemens qui se sont succédé depuis 1835 n’ont favorisé l’institution des caisses d’épargne que pour l’unique objet de provoquer une accumulation de capitaux appartenant à la masse de la population et dont ils useraient à leur gré, librement, comme du produit d’un emprunt déguisé, fonctionnant à jet continu, dont l’importance croissante échapperait à l’attention de l’opinion publique. Mais il est très vrai que ces gouvernemens, à plusieurs reprises, ont cédé à la tentation d’appliquer à des dépenses d’ordre général, sous la forme de ressources imputables à la dette flottante, les sommes considérables résultant de l’affluence des capitaux provenant de l’épargne, et dont la gestion était confiée à l’État. Les gouvernemens ont été entraînés, par cette faculté