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chimérique que réel. Jamais, quelque catastrophe qui survienne, de telles sommes ne seraient réclamées en même temps au gouvernement. Encore se peut-il concevoir que les sept millions de déposans (Caisse nationale et caisses d’épargne ordinaires) qui ont remis en moyenne chacun 500 francs aient besoin tous à la fois, en un jour de crise, de la totalité de leur dépôt. Et si cette éventualité se réalisait, que ferait l’État ?

Il n’offrirait pas des rentes, dont le cours serait alors extrêmement déprécié et qui seraient, partant, invendables. Il n’offrirait pas, de toute façon, des rentes, puisque ce que doivent les caisses, c’est de l’argent et non du papier portant intérêt. Que ferait l’État ?

On répond que l’État ne serait pas embarrassé pour si peu. Il ferait ce qu’il a déjà fait en des circonstances très critiques ; il invoquerait la clause de sauvegarde, le cas de force majeure, et décréterait un remboursement échelonné à raison de 50 francs par quinzaine substitué au remboursement intégral à vue. En d’autres termes, l’État manquerait à sa parole et se tirerait d’affaire par une suspension de paiemens ingénieusement déguisée. Tant pis pour ceux des déposans à qui l’impossibilité d’obtenir au moment nécessaire les 500 francs que l’on avait promis de rembourser sur demande apporterait tout simplement la faim et la ruine.

C’est déjà beaucoup trop que la situation actuelle présente comme possible la réalisation de pareilles hypothèses, dont l’invraisemblance est, en réalité, manifeste. Aussi tout le monde est-il aujourd’hui du même avis sur le fond de la question ; il faut dégager la responsabilité de l’État, réformer pour l’avenir tout le système d’emploi des fonds des caisses d’épargne, et, pour le passé, procéder à la liquidation du portefeuille de rentes de ces caisses.

C’est précisément parce que nous sommes en pleine prospérité, dans une période d’extraordinaire abondance d’argent, qu’il est urgent de régler ces questions restées trop longtemps en suspens.

Le premier point à gagner est que l’État ne soit plus responsable du portefeuille, le second que ce portefeuille ne s’accroisse plus et même se liquide, le troisième qu’aucune entrave ne soit mise au développement des habitudes d’épargne, aucune atteinte portée à la sécurité absolue que doivent présenter les emplois des dépôts. Ce dernier terme du problème ne présente qu’une contradiction apparente avec les deux premiers. C’est en lui que réside réellement toute la signification de la réforme à opérer. Mais avant de l’aborder, le gouvernement et les chambres devront avoir pourvu aux deux premiers termes, qui se réfèrent à d’indispensables mesures de préservation contre un péril éventuel, dès maintenant menaçant.